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duit, on ne se gêne pas pour avoir plusieurs femmes et autant d’esclaves que l’état de fortune le permet. Pendant d’assez longues années, personne n’a berd, tout va pour le mieux dans les plus nombreuses familles possibles. Cependant, l’âge arrive, non pas un âge avancé, mais, enfin, un âge qui est déjà éloigné des beaux jours de la puberté naissante. Les Marocains mènent, autant qu’ils le peuvent, une vie paresseuse ; ils se nourrissent de la manière la plus affadissante ; les moins riches consomment encore des quantités innombrables de tasses de thé saturées de sucre. Ce régime, combiné avec la vie de mari pratiquant, et très pratiquant, dans un harem plus ou moins considérable, a des conséquences qui se manifestent assez vite. Le fameux froid commence à se faire sentir : au lieu de s’en accuser eux-mêmes, les Marocains font retomber toute la faute sur leurs femmes, qui, vieillissant beaucoup plus vite qu’eux, sont déjà décrépites lorsqu’ils n’ont que trente-cinq ou quarante ans. Pour s’en assurer, ils usent du divorce, qui est très aisé, et épousent une ou plusieurs jeunes filles, très jeunes et très jolies. Mais, le croirait-on ? le remède aggrave le mal, et voilà pourquoi, dès que passe un médecin européen, ils courent à lui en criant d’une voix plaintive : Berd ! berd ! Parmi tous ceux qui sont venus consulter le médecin de notre mission à l’oued Mikkès, je n’en ai vu que deux qui se plaignissent d’une maladie différente ; encore n’était-ce pas eux qui en souffraient, mais leurs femmes ; elles avaient une ophtalmie, et leurs maris auraient bien désiré qu’on pût les guérir sans regarder leurs yeux, ce qui n’est pas très convenable.

Le lendemain matin, à notre lever, le brouillard était encore plus intense que les jours précédens. Tous les paysans, arrivés pour le marché, étaient tellement ensevelis sous son épais rideau, qu’il n’était pas possible de les distinguer. Ils avaient dû subir un froid qui n’avait rien de métaphorique, mais nous ne primes pas le temps de nous en informer. La route continuait à serpenter le long de collines ; et, quoique nous fussions bien près de Fès, rien ne semblait indiquer les approches d’une grande ville. C’est à peine si, de temps en temps, passaient auprès de nous quelques voyageurs montés sur des mulets ou sur des ânes, quelques chameaux portant des fardeaux. Après sept ou huit heures de marche, nous aperçûmes en face de nous une immense plaine, que bornait à l’horizon une chaîne de montagnes couvertes de neige et que traversait une rivière dont les méandres brillaient au loin. C’était la plaine de l’oued Fès, la plaine de Fès. Elle était, comme la vallée du Sbou, absolument dépouillée d’arbres ; on n’y voyait que de maigres moissons et des champs incultes où poussaient, avec une