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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/141

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vigueur singulière, des fleurs bleues, je ne sais lesquelles, dont les frais tapis semblaient vouloir cacher cette terre attristée. Sur un seul point, quelques arbres entouraient de grandes constructions, formant une tache verte au milieu de la campagne blonde et bleue. On nous dit que c’était un palais d’été du sultan. Nous avançâmes encore de quelques kilomètres, et tout à coup, au détour d’une colline, nous vîmes des minarets blancs et jaunes qui s’élevaient sur un mur sombre. C’était Fès. Notre étape était unie. Il fallait s’arrêter là pour préparer notre entrée dans la ville, qui devait s’accomplir le lendemain avec un pompeux cérémonial, au milieu d’un cortège militaire et d’un concours de population tout à fait féeriques.

Nous campâmes donc, suivant notre habitude, au milieu des fleurs. Le soleil se dégageait peu à peu de la brume, et à mesure que la lumière s’avivait, Fès semblait sortir de la montagne pour se rapprocher de nous. Les minarets devenaient plus clairs, les murs plus colorés, les toits verts du palais du sultan brillaient avec éclat. La ville était là, mystérieuse, fuyant lorsqu’un nuage passait sur le soleil, revenant lorsqu’il se dissipait. Il y avait quelque chose d’étrange et presque d’émouvant dans ces apparitions et ces disparitions d’une ville que nous étions venus chercher avec tant de peine, au prix de tant d’efforts et de fatigues. Elle s’offrait à nous étincelante de lumière, puis nous échappait dans l’ombre ; pareille, hélas ! à tout ce qui est noble, à tout ce qui est beau dans ce monde, à tout ce qu’on aime, à tout ce qu’on désire, à tout ce qui séduit et qui ne se montre à nos regards que pour s’en éloigner bientôt. Nous restions tous les yeux attachés sur Fès, fascinés par l’inconnu. Pourtant le paysage que nous avions devant nous aurait mérité toute notre attention : d’un côté de la plaine, la chaîne du Djebel-Zerhoum venait mourir, presque à pic, dans un dernier contrefort, qu’on eût pris, du lieu où nous étions, pour une gigantesque falaise. Les montagnes de l’autre côté étaient plus remarquables encore ; elles dressaient vers le ciel des cimes tourmentées qui devaient être bien hautes, car nous étions déjà au 5 mai et cependant la neige les enveloppait entièrement. La plaine de Fès rappelle, par sa fécondité naturelle et par son manque presque absolu de culture, celle du Sbou. Ici aussi les hommes ne font rien pour profiter de la richesse du sol ; ils laissent par insouciance d’énormes trésors improductifs. Je repassais dans mon esprit toute la route que nous venions de faire : elle n’était point belle, en somme ; à part quelques sites de montagnes, elle était presque constamment plate, uniforme, sans horizon. Mais partout j’avais vu des régions facilement irri-