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gables, qui auraient pu se couvrir de moissons. Des machines à vapeur laboureraient sans peine ces immenses bassins, où il n’y a pas un accident de terrain, où il n’y a pas un rocher, où il n’y a même pas une pierre capable de les arrêter. « Il est facile de s’expliquer, a écrit M. Tissot, que la Mauritanie soit restée en dehors du réseau routier qui couvrait le reste de l’empire. Le terrain compris entre Tirejis et Sala se compose de plateaux sablonneux ou rocheux, alternant avec des plaines d’alluvion : une voie régulièrement tracée et empierrée était inutile sur les terrasses toujours praticables, même dans la saison des pluies, qui séparent les bassins du Mharhar, de l’oued Kharroub, du Loukkos, du Sbou et du Bou-Ragrag ; il était impossible de l’établir dans ces mêmes bassins, complètement inondés en hiver, ou du moins on n’aurait pu le faire qu’au prix de travaux énormes : la traversée de la seule plaine de Subur aurait nécessité la construction d’un azyes de près de sept lieues dans un bassin où l’on est fort en peine de trouver, je ne dis pas une pierre, mais un caillou[1]. » Les Arabes ont trop bien suivi l’exemple des Romains ; ils n’ont pas construit une seule route. Mais comme il serait facile, encore une fois, d’ensemencer à la vapeur ces bassins absolument plats, où la terre végétale n’est pas même mélangée d’un seul caillou ! Il reste seulement à savoir si l’Europe a le moindre intérêt à ce que les Arabes tirent parti de leur pays, et si, dans ces jours de crise agricole, il serait heureux pour elle de voir subitement tomber sur ses marchés les avalanches de blé qui pourraient venir du Maroc.

Pendant que je me posais cette question, je vis s’avancer vers notre camp toute la mission militaire française permanente. J’ai dit qu’elle se composait d’un commandant, d’un capitaine et d’un sous-officier d’artillerie ; elle comprend, en outre, un capitaine de zouaves, deux tirailleurs algériens et deux zouaves. Comme nous avions déjà avec nous, en mission extraordinaire, une dizaine d’officiers et autant de soldats, jamais assurément autant de militaires français ne s’étaient trouvés réunis auprès de Fès. Aussi la cérémonie du drapeau eut-elle ce soir-là un éclat inaccoutumé. Avant d’abaisser les trois couleurs, M. Féraud adressa quelques paroles à la mission militaire permanente, pour lui dire tout l’intérêt que le gouvernement français portait à son œuvre patriotique. Nous étions rangés sur deux files ; et quand le drapeau descendit de sa hampe, au bruit des coups de feu et de la fanfare du clairon, un souffle de la patrie passa sur nous tous. Je n’ai pas besoin de dire que l’arrivée de nouveaux Français augmenta le soir la gaité du diner. Toutefois,

  1. Recherches sur la géographie comparée de la Mauritanie Tingitane.