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les pieux artistes du moyen âge pour les martyrs et pour les saints, Vercingétorix, Duguesclin, Jeanne d’Arc, Bayard, Turenne, Hoche, Marceau et bien d’autres ! Certes, l’étreinte est rude, et la plupart y succombent. Il n’est pas de Salon où l’on ne trouve quelque image de l’un d’eux, souvent maladroite et insuffisante, mais qui émeut pourtant notre patriotisme. L’âme et la main du sculpteur se fortifient dans l’exaltation de ces belles tâches, et ceux qui s’y essaient y gagnent toujours quelque chose. Le Vercingétorix à Gergovie, figure colossale de M. Mouly, ne répond sans doute qu’imparfaitement à l’idée que nous nous pouvons faire de l’adversaire intelligent et fier, de César, mais on est à la fois étonné et attendri de voir un jeune sculpteur, presque un débutant, s’attaquer témérairement à un pareil sujet sans en être trop écrasé. Quant à M. Chatrousse, ce n’est pas la première fois qu’il rêve Jeanne d’Arc, libératrice de la France ; autrefois, dans un groupe remarqué, il avait mis la main de la vierge de Domremy dans la main du défenseur d’Alésia. Il n’a manqué à M. Chatrousse, artiste consciencieux et distingué, qu’un peu plus de résolution et de largeur dans l’exécution pour donner à ces évocations une vie communicative ! En isolant aujourd’hui la Jeanne d’Arc qui tient d’une main son étendard et de l’autre l’écusson où sont inscrites ses grandes batailles, il l’a certainement améliorée. Que n’a-t-il suffisamment accentué le caractère de la tête et dégagé la figure d’un encombrement inutile de draperies !

N’a pas le style héroïque qui veut ! Le meilleur joueur de flûte n’embouche pas, à son caprice, le cor de chasse ou le clairon. Hérodote, lui-même, le père de l’histoire, n’eût pas, sans quelque peine, succédé à Pindare, pour chanter une ode à Olympie, ou tenté de refaire un chant de l’Odyssée. Ne point forcer notre talent reste toujours une des meilleures recettes pour réussir. Il ne semble pas que cet axiome soit bien connu de tous les sculpteurs, non plus que de ceux qui les protègent ; beaucoup d’entre eux commettent la même erreur que les peintres, soit en donnant à des sujets insignifians des dimensions exagérées, soit en traitant dans un style mince et mesquin des motifs héroïques, décoratifs ou monumentaux. L’œuvre de M. Darbefeuille, que le souvenir de Victor-Hugo haute à son tour, est une erreur complète, parce que l’erreur porte sur la construction même. Son groupe veut réunir un buste du poète, un enfant au pied de ce buste apportant des fleurs, et, par-dessus le tout, une femme envolée qui représente la Muse remontant aux cieux. Or, c’est un principe de bon sens, en sculpture comme en architecture, que les figures y doivent conserver leur aplomb, ou, si elles s’élancent vers des sphères supérieures,