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bec à leurs énormes coups de poing. Le combat a pour théâtre des rochers en pente, les combattans sont en train de rouler dans l’abîme. Le morceau principal a été inspiré par les lutteurs antiques de la tribune des Uffizi ; mais c’est un voisin d’à côté, un voisin dangereux, le ronflant Bandinelli, qui a donné le conseil d’exagérer à ce point l’enchevêtrement des membres et la saillie des musculatures. Quoi qu’il en soit, le morceau est taillé avec une énergie tout à fait remarquable. Le Pro Patria montre des qualités d’une autre nature ; un jeune homme, frappé à mort, tenant encore dans sa main gauche la poignée d’un sabre brisé, est étendu sur le sol, les yeux déjà fermés. Le sujet n’est qu’un prétexte à faire un beau nu. M. Peynot y a réussi admirablement. Nos musées comptent peu de morceaux exécutés avec cette perfection tranquille et cette délicatesse soutenue dans les modelés. Quant à M. Ferrari, en reprenant le motif si connu du Mercure qui s’envole, mais en adjoignant au dieu léger un petit amour pour lui attacher sa talonnière, il a su composer, dans le goût un peu maniéré du XVIe siècle florentin, un modèle vif et élégant, dont les découpures agitées parleront nettement sur le bleu du ciel, lorsqu’il aura pris la forme du bronze. Le bronze, qui supprime les modelés et qui parle presque uniquement par les contours, accepte, en effet, des agitations de lignes que ne supporteraient ni la pierre ni le marbre ; on peut même dire qu’il les exige. Ne pas ajourer suffisamment un groupe en marbre, c’est s’exposer à en faire une masse opaque et lourde dont les qualités se perdent à distance, faute grave pour des morceaux destinés au plein air. C’est un peu le cas de deux très bons groupes, la Circé de M. Gustave Michel et la Persuasion de M. Godebski, tous deux fort agréablement compris. Un peu plus de vides entre les figures aurait mieux aidé l’œil à comprendre leur action ; la fonte leur a moins servi que n’eût fait le marbre.

Le bronze n’est, en général, apte à rendre des figures entières que lorsqu’elles sont en mouvement, dans un mouvement très déterminé et qui peut même être violent. C’est le bronze qui fixera le mieux les deux groupes les plus agités du Salon, les Bacchantes de M. Falguière et le Au but ! de M. Boucher. M. Falguière, il est vrai, a déserté, cette fois, la Grèce. Ses bacchantes descendent de Belleville et non du Cythéron. Les injures qu’elles se lancent à la tête sont des engueulades apprises à la halle chez M. Zola et non chez Aristophane ; la rage faubourienne avec laquelle elles se crêpent le chignon sent, à vingt pas, son Assommoir. D’où vient, chez un artiste si bien doué, cet accès furieux de réalisme à outrance et cet amour inattendu de grossièretés ? Le groupe d’ailleurs est, par parties, à peine ébauché. On peut donc espérer qu’entre le plâtre