Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Il est plus facile d’admirer Louis XIV que de l’imiter. Si plein qu’il fût de sa grandeur et quoiqu’il ait gâté plus d’une fois ses affaires par ses hauteurs intempestives, par de vaines ostentations, il avait trop de justesse dans l’esprit pour ne pas savoir que noblesse oblige, que les grands honneurs ont leurs charges. Il était appliqué, il était laborieux et régulier dans son travail, exact à remplir ses engagemens. « L’intérêt de l’état, a-t-il écrit, doit marcher le premier. On doit forcer son inclination et ne pas se mettre en état de se reprocher dans quelque chose d’importance qu’on pouvait faire mieux. Quand on a l’état en vue, on travaille pour soi ; le bien de l’un fait la gloire de l’autre… Les princes doivent avoir un soin particulier et une application universelle à tout. Il faut se garder contre soi-même, prendre garde à son inclination et être toujours en garde contre son naturel… Le métier de roi est grand, noble, flatteur, quand on se sent digne de bien s’acquitter de toutes les choses auxquelles il engage. » Louis II, qui croyait ressembler au roi-soleil, était inappliqué et fantasque ; il aimait sa gloire, il négligeait son métier ; il fuyait la servitude des engagemens, il redoutait le contact des hommes et le tracas des affaires, il ne s’est jamais gardé contre lui-même et contre son naturel. Il pensait avoir tout fait en soignant ses attitudes et que son unique devoir était d’enseigner le respect à son peuple en lui montrant de loin la figure d’un roi.

Ses sujets, qui l’aimaient toujours malgré ses faiblesses et ses infidélités, s’obstinaient à espérer qu’il s’amenderait, que, mûri par l’âge et les expériences, il prendrait à cœur ses devoirs. Après les cuisantes humiliations qu’il avait essuyées en 1866, lorsqu’il dut recevoir la loi d’un vainqueur irrité et superbe, il parut sortir de son caractère. Il renvoya son favori, il s’arracha à sa retraite, il se montra disposé à déférer aux vœux des Bavarois en renonçant à sa vie de garçon. Il ne donna point de suite à ses projets de réforme, le naturel l’emporta sur ses réflexions d’un jour. Incapable de s’astreindre à aucune règle, ce n’était pas un souverain, c’était l’éternel absent, et il n’intervenait dans les affaires de l’état qu’à de capricieux intervalles, pour faire acte d’autorité, pour prouver qu’il était là et donner de loin en loin quelque exercice à sa main de roi. On s’en affligeait à Munich ; en revanche, on était fort content de lui à Berlin, et il faut convenir que ce roi de Bavière était tel que la Prusse pouvait le désirer. Après l’avoir traité du haut, M. de Bismarck lui avait fait bon visage et s’était appliqué à regagner sa confiance. C’est la méthode de ce grand homme d’état ; tour à tour il inquiète, il menace et il rassure ; après avoir frappé, il se radoucit subitement, il fait alterner les empressemens avec les rigueurs. Il sait que les caresses d’un brutal ont un charme tout particulier, dont les souverains faibles, comme les femmes, ne savent pas se défendre.