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firent si bien, qu’au milieu du XVIIe siècle un tiers de la propriété foncière était déjà passé entre des mains anglaises et protestantes. Pourtant l’Irlande catholique respirait, grâce à une demi-tolérance. En 1641, les deux religions se partageaient le parlement par moitiés presque égales, et l’avantage numérique penchait légèrement en faveur de la foi romaine. L’administration malfaisante de Strafford n’avait pas détaché l’Irlande des Stuarts, et lorsque éclata la guerre civile, elle se rangea presque tout entière, sans distinction de race ni de croyance, du côté de Charles Ier.

En révolution, il est dangereux de s’attarder avec la légalité qui s’en va : bientôt on se trouve hors la loi avec la loi elle-même. L’insurgé de la veille est alors l’autoritaire du lendemain. Ces transformations nous sont familières ; elles étaient nouvelles pour l’Irlande de 1649. Cromwell se chargea de la démonstration, et la fit aussi sanglante que possible. Le récit des atrocités puritaines n’entre pas dans mon sujet ; mais, n’en déplaise à M. Froude et à son maître Carlyle, tant qu’il y aura une conscience humaine, elle se souviendra, pour le maudire, du bourreau de Wexford et de Drogheda. Cromwell paya ses soldats avec les terres de leurs victimes et couvrit l’Ulster d’une colonie militaire. Il ôta à l’Irlande son parlement, mais lui rendit la liberté commerciale, que Strafford avait détruite.

La restauration éveilla de grandes espérances et ne les réalisa pas. Un gouvernement qui se relève a tant d’ennemis à satisfaire ! Quelques courtisans rentrèrent en possession de leurs terres, et ce fut tout. On revint au système des premiers Stuarts : la proscription dans les lois, la tolérance dans les mœurs ; sévérité apparente, connivence secrète. Au rebours de Cromwell, on rendit à l’Irlande son parlement ; on lui reprit la liberté commerciale, et lorsqu’on renouvela en 1663 l’Acte de navigation, elle n’en eut point les bénéfices. Néanmoins, nous la trouvons encore, en 1688, du côté de la dynastie légitime. Dublin voit, l’année suivante, ce qu’il n’avait pas vu depuis Henry VIII, un parlement composé de catholiques, et leur premier acte, après un siècle et demi de persécutions, est de proclamer le principe de la liberté religieuse. Mais cette déclaration ne peut produire d’apaisement parce qu’elle est accompagnée d’un autre bill qui dépossède en masse les colons anglais. On connaît les événemens qui suivent : les deux sanglantes batailles perdues par les jacobites au passage de la Boyne et dans la plaine d’Aghrim, les derniers défenseurs de l’Irlande enfermés dans Limerick et réduits à se rendre après une longue et héroïque défense.

Une réaction furieuse se déchaîna, le danger passé, dans le parlement protestant de 1693. Ces gens avaient en peur : ils furent implacables. Guillaume, dégoûté de cette explosion de fanatisme