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lendemains d’émeute. C’est là que la politique se montre dans sa laideur, c’est là que l’on récrimine et qu’on se dénonce en famille. L’ordre est rétabli dans les rues, non dans les consciences ; le peuple a laissé comme un limon, en se retirant, sur les bancs législatifs. Ceux qui ont tremblé sont féroces ; ceux qui ont encouragé le désordre sont aigres et inquiets. Yelverton crie à Scott : « Vous êtes le fléau du cabinet anglais ! » et Scott lui répond : « Vous, vous êtes le maître des cérémonies de l’émeute 1 » On mande à la barre le maire de Dublin, qui, une fois hors de la bagarre, avait retrouvé l’esprit et la parole. « Vous avez en peur. — Oui, répond-il, j’ai en peur,.. peur pour cette foule où les innocens étaient mêlés aux coupables ! » Le speaker déclare gravement « que l’humanité de M. le maire mérite l’éloge. » Le gouvernement fait un appel à la conciliation, supplie le parlement de ne pas troubler la paix ; Hussey de Burgh se lève. C’est un beau garçon de trente ans, insouciant et heureux, aimé des femmes et du peuple. On l’avait vu, dans les allées de Phœnix-Park, conduire un attelage à six chevaux. Maintenant on l’appelle le Cicéron de l’Irlande, et le gouvernement s’est hâté de se l’attacher en le nommant Prime Serjeant. Son goût du luxe et du faste se retrouve dans ses phrases, et il jette les métaphores à pleines mains, comme les guinées. « Que nous parle-t-on de paix ! s’écrie-t-il. Ce n’est pas la paix que nous avons, c’est la guerre sourde, en attendant la guerre ouverte… L’Angleterre a semé parmi nous ses lois comme les dents du dragon, et il en est sorti des hommes armés ! » Les députés applaudissent avec transport ; le délire passe aux tribunes, gagne la foule qui s’étouffe dans les couloirs, et bientôt les acclamations de la rue renvoient au parlement l’écho de son propre enthousiasme. De Burgh reprend la parole pour souffleter le gouvernement de sa démission publique. L’émotion redouble, et Grattan y met le comble en tendant les bras à de Burgh : « La route des honneurs vous est fermée, celle de la gloire s’ouvre devant vous ! » Quelques jours plus tard, l’Angleterre cède, et accorde à l’Irlande la liberté commerciale.

Grattan ne s’arrête pas à ce premier succès. Il propose au parlement de déclarer, par un acte solennel, son indépendance législative. La motion était prématurée, elle est rejetée une première, puis une seconde fois. Ici, les leaders du parti populaire font intervenir directement les volontaires. Simples gardes nationales, jusqu’à quel point les volontaires auraient-ils pu résister à une armée d’invasion, il est malaisé de le dire, puisque leur courage ne fut jamais mis à l’épreuve. Tels qu’ils étaient, ils suffisaient à intimider un gouvernement désarmé. Chaque corps avait pris la forme