seul que ses maitres lui eussent permis. L’embargo mis sur les ports, pour assurer l’approvisionnement à bon marché des troupes anglaises, ruinait les fermiers. L’Angleterre, représentée à Dublin par lord Buckinghamshire, que M. Froude définit « un innocent automate, » continuait à chicaner misérablement avec le parlement irlandais sur des questions de troisième ordre. Les corsaires américains insultaient les côtes ; aucune forteresse n’était en état de défense ; sur les remparts à demi écroulés de Limerick et de Cork, les canons de Cromwell et de Guillaume dormaient dans l’herbe sans un artilleur pour les servir. Belfast ayant demandé des secours, l’innocent automate lui envoya soixante dragons : c’est tout ce dont il pouvait disposer pour protéger la seconde ville d’Irlande, la capitale protestante du Nord. L’Irlande était dégarnie de troupes, et le gouvernement tardait à organiser les milices. C’est alors que se levèrent les volontaires. En un moment, les corps locaux s’affilièrent en compagnies ; les compagnies se formèrent en régimens ; un état-major centralisa le mouvement. Une véritable armée nationale se trouva sur pied ; elle compta, sur le papier, jusqu’à 140,000 hommes, et plus de 80,000, dit-on, furent à la fois sous les armes.
Lorsque, le lendemain de la rentrée des chambres, en 1780, le parlement se rendit au Château pour remettre au vice-roi une adresse en faveur de la liberté commerciale, tout le long de la route, les volontaires de Dublin, en grand uniforme, commandés par le plus grand seigneur de l’Irlande, le duc de Leinster, faisaient la haie et présentaient les armes. Étaient-ce des maitres ou des protecteurs que le parlement aurait en eux ? Bien des gens se le demandaient, et Scott, l’attorney-général, traduisit tout haut cette anxiété. « La chambre des communes n’a-t-elle plus, dit-il, qu’à enregistrer ce que les volontaires lui dicteront ? » Cette parole allume un incendie. Le lendemain, de bonne heure, le tambour bat dans le quartier des Libertés, foyer ordinaire de l’émeute. La foule se rend au palais de justice, espérant y trouver son ennemi, de là à sa maison, dont elle brise les vitres. Puis elle se porte vers College-Green, assiège les abords du parlement. Comme en 1759, elle impose à chaque député un serment patriotique. Comme en 1759 aussi, le maire est appelé pour donner des ordres. Les dragons, massés sur la place, le sabre au poing, attendent le signal de charger. Le maire s’avance sur le péristyle, ouvre la bouche : une effroyable clameur lui coupe la parole. Il pâlit, balbutie et se retire. Tout le jour, Dublin est aux insurgés, et les volontaires sont invisibles.
La journée qui suit est curieuse, comme le sont souvent les