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rendront le peuple au parlement. Mais leur œuvre restera. La Grande-Bretagne et l’Irlande seront l’unité dans la dualité ; elles formeront une confédération, un empire ; elles auront pour lien commun, pour trait d’union, la fidélité au trône et l’indépendance constitutionnelle. Et c’est ce dernier lien qui sera le plus fort. Des rois, il y en a partout ! mais la liberté, vous ne la trouverez nulle part que sur le sol et à l’abri de la constitution britannique ! »

Si éloquentes qu’elles fussent, ces paroles n’auraient convaincu personne si l’on n’avait su que la cause était gagnée d’avance. Cette fois, la déclaration d’indépendance fut insérée dans l’adresse en réponse au discours du trône. Un mois plus tard on connut la réponse du gouvernement royal. Franchement généreuse cette fois, l’Angleterre accordait toutes les demandes de l’Irlande. Les vieilles lois Poynings avaient vécu. Le parlement de Dublin recouvrait sa pleine autorité législative, sous la seule réserve de la sanction royale. L’armée nationale était placée sous son contrôle. Le revenu héréditaire, ou budget permanent, source de tant d’abus, prétexte de tant de menaces, était réduit aux proportions d’une simple liste civile. La chambre des lords devenait cour suprême d’appel dans les procès irlandais. Joignez à ces mesures l’habeas corpus, qui est la principale garantie de la liberté individuelle, et l’inamovibilité des juges, qui assure l’indépendance du pouvoir judiciaire ; joignez-y encore le rappel partiel des lois pénales contre les catholiques et la suppression des prohibitions commerciales et industrielles votée dans une des sessions précédentes, et vous aurez cet ensemble législatif que les Irlandais appellent la constitution de 1782.

En recevant les nouvelles de Londres, Dublin et les grandes villes se livrèrent à une joie frénétique. On venait d’apprendre aussi le brillant succès de Rodney sur le comte de Grasse. « Les victoires de l’Angleterre, s’écria Grattan, sont maintenant les nôtres. L’Irlande se réjouit avec sa sœur ! » Deux sœurs enlacées ! Telle était l’image favorite qui s’offrait à toutes les pensées et qui faisait monter à tous les yeux des larmes d’enthousiasme. Le parlement qui, peu d’années auparavant, marchandait trois mille hommes à l’Angleterre, vota, par acclamation, 100,000 livres et vingt mille marins. Alors notre ami Bagenal proposa d’accorder à Grattan une récompense nationale de 100,000 livres, avec un palais pour loger « cette incarnation visible de la Providence. » Grattan accepta seulement 50,000 livres. Jusque-là il n’avait vécu que de sa profession d’avocat et voulait être maître de consacrer tout son temps aux affaires publiques. À ce moment, il dominait, inspirait, couvrait le vice-roi ; il était l’âme du parlement, l’idole de la nation. Plus puissant qu’un premier ministre sans en avoir le titre, il avait réalisé le rêve de