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tous les orateurs patriotes : donner l’impulsion à la vie nationale, sans descendre aux détails, sans s’hébéter dans la routine, sans se compromettre dans de mesquines responsabilités ; gouverner par la parole, par le prestige, comme les grands Athéniens.


IV

Lorsque Flood était venu reprendre place sur les bancs de l’opposition, il avait été froidement accueilli. On discutait le bill qui rendait à l’Irlande la liberté du commerce. Il rappela avec amertume que pendant longtemps il avait seul soutenu dans la chambre cette cause maintenant triomphante. « M. Yelverton élève un temple à la liberté commerciale. N’y aurai-je point une niche ? » Quelques amis lui étaient demeurés fidèles, mais ces amis ne brillaient pas, semble-t-il, par l’intelligence ni par la discrétion. Je ne puis résister à la tentation de citer à ce propos une phrase de M. Martin, député de Jamestown. Lorsqu’on désire se faire une idée d’un parlement, il faut connaître ses grotesques comme ses leaders.

« M. Flood, disait Martin, est le plus grand caractère qui ait jamais embelli cette contrée, un caractère qui ne doit pas être profané par la langue des hommes impies ; dont le nom ne périra qu’avec le dernier soupir de notre constitution, et dont les facultés transcendantes seront transmises à la postérité aussi longtemps qu’on lira l’histoire de cette planète ; qui, vivant, est l’admiration de son siècle, et dont la mort sera un jour déplorée comme la plus effroyable calamité qu’un ciel irrité ait pu jamais déchaîner sur cette île ; dont le mérite extraordinaire éclipse le mérite des autres hommes et le tient à une humble et respectueuse distance, et dont les talens possèdent un caractère tellement divin que, si jamais j’ai à me faire l’avocat de l’ère présente, je vous déclare que je le ferai en disant à mon fils, si Dieu permet que j’aie un rejeton, que l’âge où j’existai fut préférable à celui où il pourra vivre, parce que je vécus dans le même temps et que j’eus l’honneur de naître dans le même pays que ce grand homme ! »

Lorsque le parlement vota une récompense nationale à Grattan, Montgomery demanda si l’Irlande ne paierait pas aussi à Flood sa dette de reconnaissance. Le parlement, pensait-il, devait faire une démarche auprès du roi afin que l’éminent patriote fût réintégré dans ses fonctions de vice-trésorier. « Car je ne suppose pas, ajouta-t-il, que notre ami accepterait la gratitude du pays sous la forme d’une aumône. » La proposition de Montgomery, ainsi motivée, devenait une insulte au héros du moment : elle ne pouvait être accueillie. Bientôt les deux chefs populaires furent directement aux