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la ville, à la recherche des textes. Les livres où était indiquée la place de chacune des pierres ne nous étaient pas encore arrivés à Damas ; nous n’avions donc pu profiter des renseignemens que nos prédécesseurs avaient recueillis ; aussi notre embarras fut-il grand ; tous ceux à qui nous nous adressions juraient avec l’accent le plus convaincu qu’il n’y avait point, à Hamath, une seule pierre qui répondit à la description que nous leur en donnions. Découvrir nous-mêmes les monumens, il n’y fallait pas songer, dans une ville de sept à huit mille maisons, toute en ruelles étroites et tortueuses. Nous n’avions qu’une chance, tomber sur quelqu’un qui n’aurait pas été prévenu, qui ne serait pas engagé dans cette conspiration du silence. Nous arrêtâmes donc tous les passans et nous eûmes la chance de poser la question à un certain Suliman-el-Kallâs ; une des inscriptions était justement engagée dans le mur de son habitation ; flairant un cadeau, il nous conduisit chez lui. Le secret était trahi, il fut ensuite aisé de trouver les trois autres pierres, dont l’une portes des caractères sur deux de ses faces, ce qui donne en tout, pour Hamath, cinq textes différens.

« Subhi-Pacha était d’origine grecque ; il avait cette curiosité, ce goût de la science qui caractérisent la race à laquelle il appartenait par le sang. C’était le Turc le plus instruit que j’aie jamais connu ; il avait formé une collection de monnaies et d’autres objets antiques dont la plus grande partie a depuis été vendue à Londres ; plusieurs voyageurs érudits avaient visité son cabinet ; il était en relations avec un certain nombre de savans de l’Europe. Je n’eus donc pas de peine à lui faire comprendre l’importance de ces monumens et le parti que l’histoire devait en tirer. Il se hâta d’envoyer un télégramme au sultan, par lequel il le priait d’accepter pour le musée impérial ottoman les inscriptions de Hamath. En attendant la réponse, il s’occupa de faire transporter au sérail, ou palais du gouverneur, tous les blocs que nous lui avions désignés ; là nous pourrions les estamper plus à notre aise que dans la rue. On était furieux, en ville, de la découverte que nous avions faite ; en traversant le bazar dans l’après-midi pour nous rendre aux bains avec le pacha, nous entendîmes sur notre passage plus d’un cri de colère que la crainte même n’étouffait qu’à demi, plus d’une apostrophe injurieuse et d’une menace murmurée entre les dents. On commençait à avoir vent des intentions du gouverneur ; des conciliabules se tenaient ; on disait tout haut que quand le pacha enverrait prendre les pierres, il n’en trouverait plus que les débris.

« Une catastrophe était imminente ; il fallait la prévenir. M. Green et moi, nous nous hâtâmes de nous rendre chez ceux des habitans de Hamath qui étaient détenteurs des inscriptions ; nous leur