Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puissante organisation militaire ; les peuples qui se sont instruits à leur école ont certainement imité leur armement et leur tactique ; ainsi, c’est de la Cappadoce qu’a dû se répandre dans toute la péninsule l’usage de ces chars de guerre qui jouent un rôle si important dans les batailles homériques. Pour se représenter les chars qu’Hector et Achille conduisaient dans la plaine de Troie, les archéologues vont chercher dans les bas-reliefs égyptiens l’image de ceux que les Khiti lançaient, sous les murs de Cadech, contre l’armée de Ramsès. Enfin, si l’art hétéen est toujours demeuré assez rude et assez pauvre, c’est pourtant lui qui, pendant près d’un millier d’années, a fourni les seuls types et les seuls motifs dont aient disposé les peuples établis dans l’intérieur de la Palestine ; ceux-ci ont dû, de proche en proche, les transmettre aux Grecs du littoral. Ainsi, l’ornementation grecque la plus ancienne aime à représenter des animaux combattant par paires ou marchant en longues files ; c’est ce que l’on voit, par exemple, dans les bas-reliefs du vieux temple dorique d’Assos, en Mysie, qui rappellent le combat du lion et du bélier, sculpté à Euiuk, ainsi que le lion passant de Kalaba. L’ordre ionique, comme son nom même en témoigne, a pris naissance dans les cités grecques de l’Asie-Mineure ; or on reconnaît, dans un édicule sculpté sur les rocs de Boghaz-Keui, la colonne cannelée et le chapiteau à double volute qui caractérisent cet ordre. Sans doute, l’un et l’autre de ces motifs ont pu être suggérés aux Grecs par des ivoires et des vases de métal phéniciens ; mais pourquoi ne seraient-ils pas arrivés jusqu’à eux aussi bien par la route de terre que par les chemins de la mer ? Enfin, si l’on peut hésiter ici entre les deux suppositions, il n’en est pas de même pour ce noble type des Amazones, dont la poésie et la statuaire classique ont tiré un si beau parti. Ces prêtresses belliqueuses, on a cru les apercevoir dans les bas-reliefs de Boghaz-Keui, où elles exécuteraient une danse militaire en l’honneur de la divinité ; en tout cas, la tradition les faisait venir des rives du Thermodon, c’est-à-dire d’une vallée cappadocienne.

Héritiers de toute l’œuvre utile de la civilisation primitive, les Grecs ont eu au moins une idée du rôle qu’avaient joué avant eux, sur la scène du monde, les principaux de ces peuples dont ils recueillaient la succession ; ils ont raconté à leur manière l’histoire des Égyptiens et des Chaldéens, mais ils paraissent avoir ignoré jusqu’au nom des Hétéens. C’est que, lorsque leur curiosité s’éveilla, la race hétéenne avait cessé de compter en Syrie et que la Cappadoce était masquée, pour les Ioniens, par tout un rideau de peuples interposés : Mysiens, Lydiens et Phrygiens, derrière lesquels se dérobaient, dans un obscur lointain, le bassin de l’Halys et les tribus