qui l’habitaient. On a prétendu retrouver les Hétéens dans ces Kétéioi que le onzième livre de l’Odyssée mentionne parmi les défenseurs de Troie, mais il paraît certain que le poète entendait désigner par là une peuplade mysienne ; enfin partout, dans les transcriptions qu’en ont données des documens de provenance diverse, le nom du peuple qui nous occupe a pour lettre initiale la gutturale aspirée, tandis que dans le mot Kétéioi il n’y a pas trace d’aspiration.
En revanche, dans le sixième livre de l’Iliade, je crois trouver une allusion sinon aux Hétéens eux-mêmes, tout au moins à leur écriture. Il s’agit de ce fameux passage où le poète raconte comment Prœtos, roi d’Argos, voulant se défaire de Bellérophon,
« L’envoya en Lycie et lui donna des signes funestes,
« Ayant écrit sur une tablette pliée en deux beaucoup de traits meurtriers. »
En jetant les yeux sur la tablette, le roi de Lycie comprit le message que lui apportait Bellérophon et n’épargna rien pour satisfaire Prœtos. On a voulu quelquefois conclure de ce texte que l’écriture était connue et pratiquée du temps d’Homère ; mais, s’il en eût été ainsi, on trouverait dans les deux poèmes bien d’autres allusions à cette pratique ; la vie contemporaine ne se réfléchit-elle pas tout entière dans l’épopée comme en un clair et fidèle miroir ? Non, certes, le poète n’imaginait pas que l’on pût fixer sur une matière quelconque un de ces chants qu’il récitait dans la demeure des princes ioniens. Mais, d’autre part, dans les vers que nous avons traduits, il n’est évidemment pas question d’un signe convenu, d’une sorte de tessère sur le vu de laquelle le roi de Lycie aurait su tout d’abord ce qu’il avait à faire. Il est difficile d’admettre que Prœtos eût prévu le cas d’un homme qu’il enverrait à son beau-père pour que celui-ci le tuât. Dans cette hypothèse, pas n’eût été besoin ni d’une tablette fermée et scellée, ni de « beaucoup de traits meurtriers, » grec. Pour que le poète et ses auditeurs admissent que l’on pouvait donner ainsi par lettre une pareille commission, il fallait que, sans savoir écrire, ils eussent vu de l’écriture ; or, quelle est la seule écriture dont les monumens aient dû souvent frapper leurs regards, dans la contrée qu’ils habitaient et dont beaucoup n’étaient jamais sortis ? N’est-ce pas celle de ces anciens conquérans, qui avaient laissé leurs noms et ceux de leurs dieux gravés sur les rocs en assez d’endroits pour qu’aujourd’hui, après tant de siècles, nous retrouvions encore lisibles nombre de ces inscriptions ? Ces mêmes signes, les Ioniens ne les apercevaient-ils pas aussi sur maints objets que leur apportait le commerce qu’ils entretenaient avec les peuples des hautes terres, sur des cylindres en hématite qui servaient