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le choc de la lame sur l’avant du bateau peut donc déranger le pointage au moment même où l’on chasse la torpille. On voit la différence qu’il y a entre pointer un canon et pointer une torpille et les difficultés qui peuvent en résulter. Pendant ce temps, les boulets pleuvent autour du torpilleur, il développe toute sa vitesse ; il se tord, roule, tangue, bondit, il passe dans la lame ; l’eau le couvre de l’avant à l’arrière, son hélice parfois sort de l’eau et s’affole.

Dans un exercice tout est parfait ; on prend son temps pour tout, on est bien certain qu’on ne sera pas coulé ; là, point de préoccupation d’aucune sorte : ni la mer, ni le vent, ni l’animation de la lutte, ni l’anxiété de la victoire, ni la fatigue, ni les souffrances pouvant résulter d’une pénible croisière de quelques jours. On n’a pas à se dire : Hâtons-nous, prévenons notre adversaire avant qu’un des obus dont il nous crible ne nous atteigne ; et cet adversaire lui-même ne craint pas de se laisser toucher ; la torpille n’est pas chargée, il ne coulera pas, et sa défaite lui vaudra un succès : on lui en saura gré ; d’ailleurs, comment pourrait-il l’empêcher, puisque le seul moyen serait de jeter un obus sur le torpilleur et qu’on ne peut pas lancer un obus sur un bâtiment par exercice comme on lance une torpille ? La guerre seule pourra donc nous fixer à cet égard et aucun exercice ne saurait en tenir lieu.

On dit (Réforme de la marine, p. 882) que, d’après les exercices qui ont eu lieu aux îles d’Hyères à bord du Japon, un bâtiment, offrant un but de 70 mètres, eût été touché par la torpille quatre-vingt-quinze fois sur cent à des distances variant de 250 à 400 mètres ; ici, le vaisseau, vu dans le sens de la quille, offrira un but quatre fois moins étendu ; si on s’en tient donc à la proportion, rien que de ce chef, les chances de succès du torpilleur s’abaisseraient à cinq contre une ; mais si l’on tient compte de la différence entre un exercice de rade et un combat mortel en pleine mer, on peut bien estimer que, sur cinq coups, le torpilleur pourrait manquer deux fois son adversaire, estimation très modérée.

Dans le canon, l’inflammation de la gargousse donne directement et d’un seul coup l’impulsion au projectile, qui suit sa trajectoire jusqu’au bout, sans l’intervention d’aucun mécanisme intérieur, ni d’aucune impulsion nouvelle. Le tir de la torpille s’accomplit dans des conditions moins simples ; ici, entrent en ligne de compte une foule de causes : la manœuvre du bateau qui donne le pointage, l’action du vent et de la mer qui peuvent le déranger, la projection et l’immersion de la torpille, la marche de la machine à air comprimé, le mouvement de l’hélice, le jeu régulier du pendule et du piston hydrostatique et celui du gouvernail ; c’est de la juste