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Dans ce duel que je viens d’exposer, un vaisseau pourvu de bons tireurs n’a-t-il pas plus de chances de couler son rival que d’être frappé par lui ? Je le crois, tandis que, s’il avait affaire à un vaisseau semblable à lui-même, de même force et d’une valeur morale égale, les chances de succès ou de défaite seraient égales aussi, et la victoire n’appartiendrait qu’au plus heureux.

On répond qu’il est possible qu’un torpilleur isolé ne suffise pas pour assurer la perte d’un vaisseau, mais qu’on en mettra trois à sa poursuite et qu’il périra certainement. C’est un fait qui peut s’appliquer à toutes les luttes ; réunissez assez d’adversaires contre un seul et vous en aurez toujours raison. Dans le cas qui nous occupe, je répondrai qu’un seul obus pouvant suffire pour crever un torpilleur autonome, il ne sera pas impossible au vaisseau, cuirassé ou croiseur, de couler trois torpilleurs l’attaquant simultanément. Le torpilleur ne peut tirer qu’une torpille à la fois et dans une seule direction, mais le vaisseau pourra tirer en même temps sur ses trois adversaires et diriger sur chacun d’eux plusieurs canons gros ou petits ; le torpilleur ne peut faire tête qu’à un seul antagoniste, le vaisseau peut se défendre contre plusieurs. Mais passons. Vous adopterez donc le système de ne faire marcher les torpilleurs que trois par trois ; sera-t-il bien facile et bien pratique de tenir toujours et partout cette trinité réunie pour l’attaque des bâtimens ? Peut-être, si vous laissez ces torpilleurs au rôle auquel ils sont propres et pour lequel ils sont excellens, au rôle de la défense des rivières, ports, rades et côtes ; non, si vous prétendez exercer par eux la domination du vaste sein des mers.

Le caractère des torpilleurs actuels, tout autonomes que vous les proclamiez (et la remarque s’applique à tout torpilleur agrandi, mais qui ne le serait pas assez pour porter au moins un canon de 14 centimètres et un ou deux hotchkiss et nordenfeld, en sus de ses tubes de lancement), le caractère de ces torpilleurs est de ne pouvoir opérer loin d’un centre de ravitaillement et de repos. Quelles croisières autres que dans les détroits et les mers intérieures pourrez-vous leur faire accomplir ? Comment les faire stationner indéfiniment dans les parages lointains ? Comment occuper avec eux toutes les mers du globe ? Cela est bon pour des croiseurs qui portent six mois de vivres et de rechange ; qui, tenant leur croisière à la voile, et n’utilisant la vapeur que pour courir sur les navires en vue, peuvent faire durer longtemps leur combustible ; qui ont un équipage assez nombreux pour amariner des navires chargés de riches cargaisons ou de denrées dont la disette se fait sentir chez vous par suite de la guerre ; enfin qui peuvent donner à leurs équipages tout le bien-être nécessaire et tous les soins exigés pour la conservation de sa santé ou la guérison des maladies ; à la bonne