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sera fatalement entraîné à construire des bâtimens capables de dominer les torpilleurs et les canonnières de l’ennemi ; celui-ci, à son tour, en imaginera d’autres pour dominer ceux-là. Tous les raisonnemens du monde n’y feront rien ; la pression des circonstances vous forcera la main. Il est impossible qu’une nation belligérante ne cherche pas, pur tous les moyens, à rester maîtresse de la mer, dont elle a besoin pour s’approvisionner, pour conserver sa richesse commerciale et son mouvement industriel, qui souvent font sa force et sa vie ; et comme, malgré toutes les théories, on ne peut se battre sur mer qu’au moyen de bâtimens capables de naviguer, et que la suprématie ne s’obtient que par le nombre, la force des navires et leur aptitude à toutes les navigations, à tous les parages, à tous les genres de services, cette nation en arrivera à posséder des bâtimens de toutes sortes, de toute forme et de toute grandeur, et en rapport avec les objets divers qui leur seront assignés.

Nous avons dit que les conditions de la guerre navale seront sans doute profondément modifiées par l’introduction des torpilleurs sur la scène militaire. Les côtes, les ports, les arsenaux, les capitales des états, voisines de la mer, ne seront pas, comme par le passé, facilement réduites par les grandes escadres, les seules capables de les occuper au moyen d’un corps expéditionnaire. Nous voyons aussi par là que, si l’Angleterre, puissance tout à fait insulaire, n’a plus la même action maritime sur les diverses nations de l’Europe, en retour, elle acquiert contre tout envahissement une sécurité qu’elle n’a jamais connue, qui l’a plus d’une fois vivement préoccupée, et dont les nombreuses conquêtes qu’elle a subies des Saxons, des Angles, des Danois, des Normands-Français, doivent lui faire apprécier les avantages.

Mais si le cercle des opérations navales se trouve restreint et leur importance amoindrie, est-ce à dire qu’il n’y en aura plus, que le vaisseau cessera d’exister comme machine de guerre et qu’il n’y aura plus que le bateau ? Ce serait bien s’avancer que de soutenir une pareille affirmation. Malgré ce que le torpilleur a pu lui ôter, il reste encore des objets à l’action des flottes, et il serait téméraire d’assurer déjà qu’on ne saura pas trouver les moyens d’utiliser le concours des grands bâtimens de guerre. Il ne me paraît pas possible de dire a priori ce que sera dorénavant la guerre maritime, quelle forme elle affectera ; c’est au moment même, sous la pression des circonstances, sous l’aiguillon des intérêts, sous l’empire de la nécessité que l’on verra les belligérans chercher la nouvelle formule de la guerre navale, et le succès couronnera les efforts de celui qui l’aura trouvée le premier. Bien clairvoyant serait celui qui, dès ce moment, affirmerait qu’on fera ceci ; qu’on fera cela.