Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gens qui voulussent entrer dans l’affaire. Il semble que les conspirateurs aient essayé d’associer à leurs projets quelques conseillers du parlement de Normandie qui faisaient de l’opposition aux édits royaux. Le chevalier de Préau alla voir Mme de Villars, qui se trouvait alors à la baronnie de Boudeville, où elle avait un bien, et, à leur retour, ils s’arrêtèrent à Rouen. Ils virent les sieurs Dargues et Fugueroles, conseillers en la grand’chambre, Daiberville et L’Huillier, conseillers au même parlement, mais le chevalier de Préau prétendit, au procès, n’avoir parlé de rien avec eux.

Quoique ayant rompu son commerce de galanterie avec le chevalier d’Aigremont, Mme de Villars ne s’était pas pour cela brouillée avec lui. Il était resté entre eux assez d’intimité pour que celle-ci n’eût pas craint de lui faire des ouvertures au sujet du complot qui se tramait.

Jacques de Guersant, chevalier d’Aigremont, était alors âgé de vingt-neuf ans ; il avait servi en Flandre, en qualité d’aide-de-camp du duc de Navailles. Avant d’aller rejoindre l’armée, il s’était rendu au château de Tournebus près Gaillon ; il y avait rencontré son ancienne maîtresse, qu’il aimait encore, et celle-ci lui confia le secret ; il se montra disposé à aider les conjurés s’ils avaient un premier succès. Mme de Villars lui avait nommé quelques grands personnages, comme étant affiliés au complot. Il partit pour les Pays-Bas, croyant qu’il se préparait un soulèvement en Normandie et sachant que des placards y devaient exciter à la révolte.

Le 9 mai 1674, d’Aigremont écrivait à Mme de Villars que, s’il y avait quelque chose à faire, on lui en donnât avis, et il promit de fournir pour l’entreprise vingt-cinq dragons. Il avait prêté d’autant plus facilement l’oreille aux ouvertures qui lui étaient faites qu’il se plaignait, comme gentilhomme normand, de l’accroissement de l’impôt de tiers et danger, qui frappait son domaine de Tournebus. C’est vraisemblablement à l’occasion des récriminations qu’élevait le chevalier sur ces nouvelles exigences du fisc que Mme de Villars, qui l’engageait à refuser de les subir, lui parla du complot. Mais elle ne lui prononça pas d’abord le nom du chevalier de Rohan, qu’elle était probablement convenu avec le chevalier de Préau de ne pas divulguer. Elle se borna à mentionner, sans le nommer, un grand prince qui devait se mettre à la tête de l’entreprise.

L’avocat Jean Rou, qui devint secrétaire interprète des états généraux de Hollande, quinze années après ces événemens, et qui nous a parlé, dans ses Mémoires[1], de plusieurs des personnages

  1. Mémoires inédits et Opuscules de Jean Rou, publiés par Fr. Waddington ; Paris, 1857, t. I, p. 64 et suiv.