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On voyait côte à côte un beau vieillard, un jeune nègre couleur d’ébène, un homme dans la force de l’âge, du blond le plus ardent. Les coiffures ne variaient pas moins que les types. A côté de négrillons n’ayant qu’une légère houppe au sommet de la tête, se prélassait quelque gros personnage, orné d’un gigantesque turban blanc d’où émergeait à peine le bout de son turban rouge. Les femmes étaient d’une excessive rareté et si bien voilées qu’elles avaient l’apparence de paquets ambulans. C’est sans doute à leur absence totale qu’on devait attribuer le mutisme de cette grande foule que leur présence aurait à coup sûr animée d’un bruit continu.

A 5 kilomètres environ de Fès, le silence fut interrompu par des sonorités musicales qui nous annonçaient que nous allions pénétrer au milieu de l’armée. Cette armée était très nombreuse, car le sultan, se préparant à quitter Fès pour se rendre en expédition sur le territoire de tribus insoumises, réunissait presque toutes ses troupes. Nous apercevions sur une colline voisine un camp immense, où presque toutes les forces de l’empire étaient concentrées ; mais ce camp s’était vidé dès l’aurore, et tout ce qu’il contenait de soldats avait été rangé en bataille pour faire la haie sur notre passage. De loin, nous ne voyions qu’une masse blanche tachetée de rouge ; mais, en approchant, les longues lignes de soldats devenaient très distinctes. Les fantassins se tenaient d’un côté, les cavaliers de l’autre. En tête de ces derniers figurait un groupe étincelant : c’étaient les principales autorités du Maroc. Il y avait là des chevaux d’apparence magnifique, des selles brodées d’or de couleurs inimaginables, des cavaliers vêtus d’immenses haïks blancs et transparens sous lesquels on distinguait des robes ronges, vertes, jaunes, bleues, couleur saumon, et portant pour coiffures des turbans tellement énormes que je n’en avais vu jusque-là d’aussi volumineux que dans la cérémonie du Bourgeois gentilhomme. L’un de ces cavaliers, qui dominait tous les autres de la tête, se détacha du groupe dès qu’il nous aperçut, et, se portant vers nous au galop de son cheval, qui caracolait et bondissait à chaque pas, se souleva sur ses étriers dorés, brandit son sabre et s’écria en nous abordant d’une voix retentissante, dont l’écho sembla se prolonger jusqu’à Fès : « Marhaba bi-koum ! Marhaba bi-koum ! Soyez les bienvenus ! Soyez les bienvenus ! » C’était le maître des cérémonies, le caïd et méchouar, c’est-à-dire le caïd de la salle du conseil, et, par extension, du conseil lui-même, du gouvernement du sultan. On le choisit toujours parmi les plus beaux hommes de l’empire. Celui-là, inférieur, dit-on, à son prédécesseur, était pourtant un militaire superbe, taillé comme Hercule, avec des yeux de feu, une bouche puissante, dont les éclats auraient pu couvrir le bruit de la trompette. Après lui