Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Alcine, feu d’artifice, etc. : la comédie ne tient là que sa modeste place, elle ne montre même pas son nom. Mélicerte, la Pastorale comique, le Sicilien ne sont que de petites pièces insérées dans le Ballet des Muses ; la Comtesse d’Escarbagnas n’est qu’un léger cadre pour le Ballet des ballets. Quoi d’étonnant ? Louis XIV est le dieu et le souverain pontife d’une religion qui a son culte mondain ; ces grandes journées en sont les jubilés ; il ressort de la nature des choses que la musique et le reste y doivent avoir plus d’importance que les paroles. A considérer l’ensemble de ces jeux, si ce n’est pas M. le duc de Saint-Aignan ou quelque autre gentilhomme de la chambre qu’on en reconnaît le maître, c’est Lulli. Aussi, vers la fin de la vie de Molière, le Florentin l’emportera-t-il en faveur sur le Parisien ; et, ayant inventé en France, avec Quinault, la tragédie chantée tout entière, c’est-à-dire l’opéra, il obtiendra que défense soit faite aux comédiens de se servir de plus de six « musiciens » et de plus de douze joueurs d’instrumens, et « d’aucuns des danseurs qui reçoivent pension de Sa Majesté. » Jusque-là, dans ces occasions, Molière, auteur des récits, se tient à peu près sur le même rang que Benserade, auteur des vers, — c’est-à-dire des complimens glissés dans le livre de ballet, ou programme distribué aux spectateurs, en l’honneur des principaux personnages qui assistent au spectacle où se mêlent de danser un pas.

Même en de moindres pompes, alors que Molière dispose lui-même toute la représentation, elle n’est qu’un accessoire de la fête, ou du moins son texte comique n’y est pas le principal. Songez que le roi lui-même joue un des Égyptiens du Mariage forcé ; qu’un des Espagnols est figuré par le gentilhomme basque Tartas, capable de se tenir debout sur les épaules de deux hommes, lesquels se tiennent eux-mêmes sur trois autres : jamais dans un cirque, les clowns fussent-ils des gens de qualité, fût-ce dans le cirque Molière, les paroles n’auront en plus de prix que les pirouettes. George Dandin n’est qu’un prétexte à musique et à ballet, entre deux collations et parmi beaucoup de jets d’eau, dans le parc de Versailles. Monsieur de Pourceaugnac remplit le même office, après la chasse, à Chambord ; le Bourgeois gentilhomme, à Chambord aussi, n’est que pour servir de lien à des intermèdes bouffons et d’avant-propos à la turquerie qui le termine. A parler net, c’est le dialogue, dans ces ballets, qui est adjoint comme intermède au chant et à la danse.

Aussi bien, ce dialogue est presque toujours improvisé. Ce n’est pas seulement un Impromptu de Versailles que Molière imagine, par l’ordre du roi et pour son délassement, mais plusieurs sous divers titres ; et, de même, des impromptus de Vaux, de Saint-Germain, de Chambord, du Louvre et des Tuileries. Pour la Princesse d’Elide, il n’a le temps de mettre en vers que le premier acte et les premières scènes