Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au monde, aux agitations des partis, se renfermant strictement dans ses devoirs, vivant pauvrement, en ascète, dans son palais, toujours prêt à secourir les misères. Le secret de l’influence exceptionnelle acquise depuis quinze ans par M. le cardinal Guibert est tout entier dans un mot : c’était un vrai prêtre ! Il avait une fermeté singulière dans les affaires essentielles ; il avait aussi un bon sens très sûr, un esprit juste et fin. Il avait surtout la modération d’un prêtre éclairé, mûri par l’expérience des hommes, serviteur habile de sa foi, fidèle à la France comme à son église. Pendant ces quinze ans, à travers les circonstances les plus difficiles, le sage prélat a su concilier ce qu’il devait à la dignité de son culte et ce qu’il devait à l’état, en imposant à tous le respect de son caractère. C’est ce qui lui avait valu cette confiance si complète que lui témoignait le pape Léon XIII, le pontife à l’esprit pénétrant et prudent ; c’est aussi ce qui lui donnait une si sérieuse autorité quand il croyait devoir rappeler les griefs des consciences religieuses, comme il le faisait il y a quelques mois à peine dans cette lettre simple et forte qu’il adressait à M. le président de la république, où il traçait pour ainsi dire le bilan de la politique de secte et de guerre aux croyances. M. le cardinal Guibert, avec les dehors un peu brusques, était plus qu’un évêque de Paris, il était devenu un guide pour l’église de France. Il était un personnage dans cette société française où un prêtre n’a qu’à rester un prêtre pour bien servir sa foi et son pays.

C’est le mort justement respecté d’hier ; le grand disparu d’autrefois dont on a ravivé ces jours derniers l’image dans une cérémonie commémorative où se sont pressés les représentans de tous les pouvoirs publics, c’est Lamartine, qui a été, certes, lui aussi, et plus que tout autre, un des personnages de la société française. On lui a élevé une statue à une extrémité de Paris. On lui a fait une petite place dans un petit square ombragé de Passy, à trois pas du modeste chalet où il a rendu son âme immortelle. On a demandé à l’ombre de Victor Hugo un peu de son domaine, de son avenue, pour celui qui fut son puissant et glorieux émule. On a eu, à ce qu’il parait, besoin d’une permission au nom de l’ombre de Victor Hugo, comme aussi d’une autorisation du conseil municipal, qui n’a pas refusé une place à ce grand nom. Le voilà maintenant installé sur son piédestal de pierre. Il a sa statue et son square ; il a été salué par les discours. On a pris, il est vrai, dix-huit ans, pour se souvenir de lui ; on n’y a pas mis beaucoup d’entrain et de générosité. La chambre, pour parfaire le monument, a poussé la prodigalité jusqu’à voter 1,500 francs, — moins que pour le monument d’un conseiller municipal ! Qu’importent ces petitesses d’une commémoration disputée ? Lamartine est heureusement de ceux pour qui le temps ne compte pas, qui ne restent pas ensevelis dans l’oubli et