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loin que la moelle ou, du moins, si elle envoie quelque remous au cerveau, elle n’y arrive que fusionnée et « composée » avec d’autres excitations : elle se perd donc dans l’ensemble et n’est plus « discernée » à part. Au contraire, la lenteur ou l’arrêt du courant nerveux, ayant pour cause quelque résistance, produit une réaction et une irradiation du courant jusqu’au cerveau, par cela même des décharges cérébrales et des contrastes discernables pour la conscience. Nous n’avons nullement le droit d’en conclure que la pensée ou la conscience soit du mouvement arrêté (définition par trop simpliste) ; mais la pensée ne perçoit le mouvement réflexe que s’il se produit, avec une résistance à ce mouvement, une modération de l’acte réflexe et une augmentation de sa durée. En d’autres termes, la pensée est si peu le mouvement réflexe pur et simple, qu’elle ne le perçoit que quand il cesse d’être absolument automatique et réflexe. Nous ne pouvons sentir sous une forme distincte une impression qui, aussitôt transmise au ganglion par le nerf centripète, a été réfléchie par le nerf centrifuge sans passer par le cerveau ou sans y passer autrement que confondue avec la masse des impressions de tout l’organisme. Donc le mouvement réflexe, dans son pur automatisme, n’est pas la conscience même.

La conscience, en définitive, n’est intense que quand les mouvemens nerveux sont lents, retardés, hésitans ; elle est à son minimum lorsque l’action, rapide et certaine, rencontre des voies toutes formées, qui n’ont plus elles-mêmes rien d’incertain. Au lieu d’en conclure que la conscience est un phénomène accidentel et surérogatoire, on peut en induire, au contraire, qu’elle a une utilité et une efficacité : puisqu’elle s’exerce ainsi là où il y a retard et hésitation, alternative, difficulté à surmonter et problème à résoudre, comment se pourrait-il faire qu’elle ne servît à rien ? Comment comprendre que l’animal chercherait sa nourriture ou fuirait son ennemi tout aussi bien s’il n’éprouvait ni l’appétit ni le sentiment de la peur ? C’est seulement quand à l’incertitude ont succédé la certitude et la détermination automatique, que la conscience disparaît comme inutile, ou qu’elle se reporte ailleurs et plus haut. Au lieu de n’être qu’un index du fonctionnement de l’automatisme extérieur, la conscience correspond donc à une force intérieure de réaction et de direction.


III.


On ne pouvait manquer d’appliquer la théorie des actions réflexes aux sentimens et aux désirs, comme elle a été appliquée à la pensée. L’explication des sentimens par l’automatisme réflexe a été