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car il n’est pas très sûr pour moi que les puissances européennes aient raison de permettre à un souverain aussi faible que l’empereur du Maroc, à un souverain qui n’est même pas maître de ce qu’on appelle improprement ses états, d’accueillir leurs ambassadeurs comme les représentans de nations vassales, s’inclinant devant un pouvoir supérieur. Beaucoup de personnes sont profondément choquées de ce qu’elles considèrent comme une humiliation. J’étais bien éloigné de partager ce sentiment. J’aurais été humilié de voir le ministre de France s’avancer, à pied, tête nue, devant Moula-Hassan à cheval, le front ceint d’un énorme turban qu’ombrageait encore un grand parasol, si cet appareil modeste était réellement, comme autrefois, l’indice d’une infériorité de la France vis-à-vis du Maroc. Mais le jour où il plaira à un ambassadeur européen quelconque de déclarer au sultan qu’il entend être reçu par lui sur un pied d’égalité, il n’est pas douteux un instant que le sultan se soumettra. Il y a bien peu d’années, les ambassadeurs ne présentaient leurs lettres de créance qu’à genoux, en véritables tributaires; on affirme que l’agent anglais à Tanger, M. Drummond Hay, les a encore remises de cette manière, en 1845, à Moula-Abd-er-Rhaman. L’Europe s’est émancipée. Un progrès nouveau s’est fait sous le prédécesseur de M. Féraud, M. Ordega : jusqu’à lui, les ambassadeurs restaient la tête découverte en adressant au sultan leur discours de bienvenue. M. Ordega a déclaré qu’il trouvait l’usage inconvenant et qu’il se couvrirait ; et il s’est couvert, et tout le monde depuis l’a imité. Il est donc bien clair que le vieux cérémonial des réceptions d’ambassadeurs, au Maroc, disparaîtra dès que l’Europe jugera à propos qu’il disparaisse. Il ne subsiste que parce qu’il lui plaît de s’y prêter. Peut-être a-t-elle tort de flatter l’orgueil musulman, qui aurait plutôt besoin d’être sans cesse rabaissé. Mais je bénis le ciel qu’elle ne l’ait point encore fait et qu’il m’ait été donné de voir de mes yeux une scène qui m’a rappelé ce qui se passait à Constantinople il y a deux siècles, lorsque les états chrétiens arrivaient, presque en supplians, auprès du sultan, lequel les écrasait de sa morgue, et semblait, tout en les accueillant avec un air de bienveillance, leur montrer de loin les Sept Tours comme un avertissement.

Moula-Hassan ne nous a pas montré les Sept Tours, qui n’ont jamais existé à Fès, bien qu’il nous ait reçu dans une cour fermée de murailles crénelées, assez semblables à des murs de citadelle ou de prison. Mais il n’a rien négligé pour nous rappeler qu’il était le calife véritable, l’émir el moumenin, le prince des croyans, auprès duquel, si tout était dans l’ordre, les chrétiens devraient ramper dans la poussière. La grande prétention des sultans