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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/582

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Quoi qu’il en soit, le 9 mai, à sept heures du matin, nous étions en selle, disposés à nous rendre au palais de Moula-Hassan et à lui présenter nos hommages suivant l’antique usage et d’après la mode du pays. Notre bataillon de harabas était sous les armes, prêt à nous escorter. Nous traversâmes la ville par la route où nous avions déjà passé, au milieu d’une foule immense qui nous regardait cette fois avec une sorte de respect, comme des gens sur le point de jouir de la vue bienheureuse et sacro-sainte du lieutenant de Dieu sur la terre. Nous arrivâmes ainsi jusque dans l’immense esplanade placée à côté de son palais, dont le sultan se sert surtout pour faire manœuvrer son artillerie : c’est son occupation favorite et il s’y applique avec un intérêt passionné. Notre entrée fut saluée par des fanfares qui éclataient de tous côtés. Ce premier coup d’œil était fort beau. L’esplanade est bornée, dans toutes les directions, par de hautes murailles crénelées et flanquées de tours également crénelées. Une partie de ces murailles est neuve, ayant été construite par Moula-Hassan ; mais l’autre partie, qui est bien plus considérable, est très ancienne, et le temps lui a donné la couleur cuivrée qui, dans les pays africains, est la parure des pierres vieillies au soleil. Quelques-unes des tours sont d’une noble architecture; on y pénètre par des portes arabes dentelées et couvertes de mosaïques d’un vif éclat. Nous fumes frappés d’emblée de la majesté de ce cadre ; le tableau qui s’y déroulait, bien qu’à demi sauvage, n’en était pas moins très imposant. L’armée entière du sultan était là, rangée en longues lignes aboutissant toutes au même point, à une porte lointaine autour de laquelle se pressait une foule blanchâtre qu’on ne distinguait que vaguement. C’est par cette porte que le sultan devait déboucher et s’avancer vers nous. Ses soldats étaient là plutôt pour l’acclamer que pour nous faire honneur. Tous étaient à pied. Les cavaliers, que nous avions vus, à notre entrée à Fès, caracolant sur leurs chevaux, étaient descendus de leurs montures ; alignés dans la poussière comme de simples fantassins, ils tenaient leurs fusils, enveloppés de gaines rouges, avec plus de maladresse encore que d’habitude. Quelques-uns avaient à la main de grands foulards de diverses couleurs, qui leur servent, paraît-il, à couvrir la gâchette de leurs armes, mais qu’ils semblaient porter, ce jour-là, comme de simples ornemens. Personne ne doit être à cheval lorsque le sultan paraît, et tout le monde doit se découvrir la tête à son approche, à moins de porter le tarbouch rouge, qui, indiquant qu’on est à son service, est par cela même une coiffure d’esclave. Il était donc convenu que nous serions à pied et nu-tête; mais j’avais espéré qu’en vue de nous rendre cette situation moins