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Ali el Savillano. Depuis, bien des Marocains désignés pour servir dans l’artillerie sont partis secrètement, par ordre du sultan, afin d’aller s’instruire en Angleterre, en Espagne et jusqu’en Amérique. De plus, voilà huit ans que notre mission militaire s’applique à former des artilleurs. Nos officiers sont frappés de l’adresse naturelle et de la docilité des indigènes. Bien commandés, ils feraient des soldats égaux aux meilleurs de l’Europe. Quant au sultan, il est également fort adroit et pointe fort bien. Tout ce qui, dans la manœuvre, est affaire d’habileté, il y excelle; dès qu’il s’agit de comprendre, il est moins heureux. Jusqu’ici il se servait de préférence de deux canons en cuivre portant sur la culasse une inscription en caractères arabes, qui rappelle qu’ils ont été donnés, en 1846, par le roi Louis-Philippe au sultan Moula Abd-er-Rhaman ; mais il est probable qu’il a déjà adopté les canons de campagne que nous lui avons offerts. Il en a été enchanté, parce qu’ils sont aisément maniables, qu’on peut les porter à dos de mulet et que, par suite, il lui sera commode de s’en servir dans ses expéditions, de les conduire de capitale en capitale, de les avoir toujours sous la main. Les canons de gros calibre ne lui vont guère : dans un pays sans routes, sans moyens de transport, il est presque impossible d’en tirer parti.

Lorsque Moula-Hassan vient tirer à la cible, ses hauts dignitaires l’accompagnent. Sa garde et son maghzen à pied forment une immense haie qui entoure le polygone. Aussitôt que le sultan a abattu une cible, un cri immense se fait entendre parmi toutes ces rangées de serviteurs: « Allah ibarca fi amer Sidna ! Que Dieu bénisse les jours de notre maître ! » Le sultan met parfois une sorte de coquetterie à ne pas réussir à tous coups. Ainsi, dans une expérience qu’il faisait en présence de Français, après avoir pointé sa pièce, il appelle un officier : « Est-elle bien? — Mais, sire, elle est un peu trop à droite ! — Je le sais ! » Le coup part et va toucher un peu trop à droite! Le sultan pointe de nouveau : «Est-elle bien? — Mais, sire, elle est un peu trop à gauche ! — Je le sais ! » Le coup part et va toucher un peu à gauche. Le sultan pointe une troisième fois: « Est-elle bien? — Oui, sire, cette fois, c’est parfait. — Je le sais ! » Le coup part et va emporter la cible. Durant les scènes de ce genre, l’enthousiasme des assistans ne connaît plus de bornes. Et ce n’est point un enthousiasme factice. Très sincèrement les Marocains s’imaginent qu’un sultan du Maroc, qu’un descendant de Mahomet doit être supérieur en tout aux chrétiens, même dans l’art de tirer le canon. Ils ne font pas la simple réflexion que ce sont pourtant les chrétiens qui ont inventé le canon. Chaque fois que le sultan montre en public une qualité quelconque, l’admiration