siques irréprochables, selon toutes les règles du Parfait Cuisinier.
Wolf, Thomasius, Gottsched ont frayé la voie aux poètes et aux écrivains. La littérature moderne de l’Allemagne, comme celle de France et d’Angleterre, subit à l’origine l’influence morale et philosophique qui a suivi les guerres de religion. Mais ce qui la distingue tout d’abord de la nôtre, c’est qu’elle n’a rien de spontané, elle n’exprime point des mœurs de cour et de salon ; sortie des chaires d’université et des boutiques de libraires, elle est l’œuvre de l’étude patiente et de l’érudition réfléchie. La moins jeune des Muses, la dixième sœur, la Critique au front sévère, se tient penchée sur son berceau : c’est à cette inspiratrice que l’esprit méthodique des Allemands obéira le mieux : « Quand un Allemand, remarque Bœrne, fait une tache à son habit,.. avant de l’enlever, il commence par étudier la chimie. » De même avant d’écrire en vers, il étudie les poètes et la poétique de tous les temps depuis un bout jusques à l’autre. Lessing pose d’abord ses règles littéraires, puis arrange des drames qui servent de preuves à l’appui. Chaque révolution du goût est précédée en Allemagne par un critique novateur, l’âge classique par Herder, l’école romantique par Schlegel. La correspondance de Goethe et de Schiller témoigne de l’importance qu’ils attachent aux théories : Sainte-Beuve salue en Goethe « le roi de la critique[1]. »
En cette première moitié du XVIIIe siècle, la lutte des écoles critiques encombre l’histoire littéraire de l’Allemagne. Quel genre cultiver ? Quels modèles imiter ? Sur ces questions débattues les sectes rivales s’accablent d’injures, se lancent à la tête d’énormes in-folio. Toute la littérature de l’époque est une littérature d’imitation : Opitz imitait le Tasse, Ronsard, Ben Jonson ; l’école de Silésie imitait Marini, Mlle de Scudéry, Dryden ; Gottsched et Canitz imitent Boileau, Racine, Pope. Le naturel allemand ne commence à paraître que dans les chansons à boire de Günther, les gais Lieder des étudians, la fraîcheur alpestre de Haller. Gellert, qui va inaugurer triomphalement la période de sensibilité larmoyante, est un Richardson pâle et maladif ; Klopstock, dans sa Messiade, un Milton élégiaque et tendre ; Wieland, un Voltaire alourdi. Au fondateur de leur théâtre national, à Lessing, les Allemands attribuent l’honneur de les avoir délivrés de l’influence française, d’avoir battu Gottsched et Racine, avec le secours de Shakspeare et d’Aristote, aussi complètement que son contemporain Frédéric battait Soubise à Rosbach ; mais en réalité, Lessing, en détruisant l’imitation de nos classiques, n’a fait que hâter à son insu l’action souveraine sur la littérature allemande d’une nouvelle forme de l’esprit français, le règne de Rousseau.
- ↑ Voir Grucker, Histoire des doctrines littéraires et esthétiques en Allemagne.