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l’idée, ce serait pour la nation où elle était née une garantie de prendre cette avance dans la conception et dans l’exécution qui nous fut si profitable à deux reprises différentes, lorsque parurent le Napoléon d’abord et la Gloire ensuite. Mais les conseils techniques ne sont pas des milieux favorables pour des modifications aussi profondes dans l’architecture navale; leur fonction, du reste, ne se prête pas à ce rôle ; ils examinent, ils analysent, ils arrivent à des compromis, mais ils sont incapables de créer, et ils ne sont pas faits pour produire. Ils représentent l’analyse et non pas la synthèse. — Pour arriver à faire passer de l’obscurité de la méditation une idée d’invention en pleine lumière, il faut y penser six heures par jour ; il faut y jeter son repos et sa vie. — Voici, à ce sujet, les conditions historiques dans lesquelles fut créée cette flotte cuirassée qui, pendant vingt-cinq ans, appuya la parole de la France ; nous les avons recueillies sans intermédiaire : « Je respecte individuellement les membres du conseil des travaux; j’ai la plus sincère considération pour leurs talens, il y figure des hommes éminens. Mais si j’honore les membres pris à part, je déclare l’institution incompatible avec la création d’une flotte basée sur un nouveau mode de protection. Je consacrerai une partie de ma vie à doter la France d’une flotte de combat cuirassée; mais c’est à la condition que je serai affranchi de cette tutelle, et que j’appliquerai librement mes idées.[1]. » Ce pacte fut conclu et il dura neuf ans.

La construction d’un bâtiment de combat bien fait est œuvre d’art ; or, les concours d’art n’ont jamais abouti à des œuvres d’art. « Nos assemblées techniques, et parmi celles-ci l’une des plus importantes, se fractionnent en deux parties qui sont à peu près égales, et c’est une opinion mitoyenne, une sorte de centre gauche, qui y fait le vote. » (Vice-amiral de Surville.)

Du reste, en supposant que dans une question qui agite tant de congrès et les gouvernemens eux-mêmes, un long sommeil pût être accepté sans danger, il faut bien se rendre à l’évidence : il n’y a pas de secret. On ne tient pas longtemps une idée prisonnière : l’émancipation hors du laboratoire, les premières applications, l’espionnage, la question d’argent devant le parlement, sont autant de canaux qui la portent et la répandent. Dans cette période mal définie, elle est alors à la merci de celui qui sait la deviner, la comprendre, la dégager et l’appliquer.

Enfin, si le silence devait être observé sur ces matières, il faudrait aussi proscrire, par prudence et par sûreté d’état, ces écrits

  1. Paroles que M. Dupuy de Lôme adressa à l’amiral Hamelin.