Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/763

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

directement de cette ville en France. Il passa par Gand, Lille, Cambrai et Arras. Il lui tardait de savoir l’impression qu’avait produite sur l’esprit de ses deux complices la réponse du comte de Monterey, qu’il avait mandée dans la lettre à eux remise. Par prudence, cette lettre ne fut point adressée à Latréaumont. Ainsi qu’il avait été convenu entre lui et Van den Enden, elle portait sur la suscription le nom d’un fripier appelé Jean Lemarié[1] qui demeurait au faubourg Saint-Antoine. Celui-ci l’avait fait ensuite passer à son véritable destinataire. Mais toutes ces précautions furent déjouées par une suite de circonstances ignorées du chevalier de Rohan et de Latréaumont, et que l’imprudence du médecin flamand n’avait pas su prévenir.

Le hasard avait amené parmi les pensionnaires de la maison de Picpus un jeune gentilhomme du nom de Du Cause et qui figura dans le procès sous celui de Nazelles, nom qu’il avait pris chez Van den Enden afin de mieux cacher son origine[2].

L’on a de lui des Mémoires qui n’ont point été publiés et qui contiennent sur la conspiration de curieux détails. Du Cause avait servi d’abord comme cadet dans les gardes françaises et M. de Pradel l’avait attaché comme aide-de-camp à sa personne, pendant quelque temps, en Pologne. Un peu plus tard, il servit avec le grade de lieutenant dans la campagne de Candie, puis, comme volontaire, à celle de Flandre. Mais un chagrin d’amour lui fit abandonner la carrière des armes. Il n’avait pu obtenir la main d’une jeune fille dont il était épris, et en proie à un véritable désespoir, il quitta l’armée. C’était le moment où se préparait la guerre contre la Hollande. Du Cause ressentait quelque honte de sa conduite, qui pouvait être taxée de lâcheté, et, pour se soustraire à la critique du monde, pour éviter de rencontrer ses anciens compagnons d’armes, il résolut, se trouvant fort à court d’argent, d’aller vivre hors des murs de Paris dans quelque maison retirée. Il se décida à habiter Picpus, alors assez éloigné de l’enceinte de la capitale. Comme il y cherchait un logis, il frappa à la porte de la demeure de Van den Enden. Citons ici ce qu’il dit à ce sujet dans ses Mémoires : « Un homme âgé, d’une taille au-dessous de la médiocre, vint m’ouvrir et m’ayant demandé ce que je désirais, je lui répondis qu’étant officier et n’ayant pas de quoi me mettre en équipage pour servir, j’avais été contraint de rester à Paris; que je cherchais à me mettre en pension quelque part, suivant mes facultés,

  1. Ce Jean Lemarié et son frère Nicolas Lemarié, compagnon fripier, comparurent dans le procès.
  2. Lorsqu’il parut dans le procès, il déclara avoir vingt-six ans.