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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/765

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qui passait pour très versé dans la pratique de la chimie. Mais cette supposition ne satisfit pas longtemps le jeune officier, et les visites de plus en plus répétées et toujours clandestines que Latréaumont faisait à son hôte lui devinrent tout à fait suspectes. Du Cause arriva tout naturellement à croire qu’il se tramait dans la maison de Picpus quelque complot. Le silence que continuait à garder Van den Enden, près de son pensionnaire, sur les relations qu’il entretenait avec Latréaumont, l’indiquait suffisamment. Il était étrange, en effet, que le médecin flamand qui, dans ses conversations avec le jeune officier, lui parlait des personnes qu’il voyait, ne prononçât jamais les noms de Rohan et de Latréaumont. Du Cause observait d’ailleurs, de sa chambre, quels soins prenaient ces deux personnages pour échapper aux regards, quand ils arrivaient chez Van den Enden et quand ils sortaient. Ils venaient à des heures insolites et se glissaient avec précipitation dans le cabinet du médecin flamand, après avoir écarté tous ceux qu’ils rencontraient sur leur passage. N’ignorant pas que le chevalier de Rohan était en disgrâce à la cour et fort mal avec Louvois, Du Cause flaira, c’est son expression, quelque machination. Afin de découvrir ce qu’il en était, il ne manqua pas, dans les causeries journalières qu’il avait avec Van den Enden, de mettre sur le tapis le plus souvent qu’il le pouvait, les affaires de Hollande. En vue d’amener son interlocuteur à des confidences sur les véritables sentimens dont il était animé. Du Cause approuvait avec affectation la conduite de Louis XIV ; il affirmait que la Hollande et l’Espagne, qui s’étaient unies, ne pouvaient manquer de succomber promptement. Là-dessus Van den Enden se laissa aller à découvrir ses pensées. Il se récriait contre les assertions de son pensionnaire ; il insistait sur le peu de sujet que le roi de France avait d’entrer en guerre contre les Provinces-Unies. « Cette guerre, disait-il, ne pouvait avoir d’autre motif que l’ambition démesurée du monarque et l’intérêt particulier de son ministre, qui cherchait à se faire valoir et à se rendre nécessaire. » Il se plaignait qu’on n’eût eu égard ni au droit des gens, ni aux traités ; il ajoutait que la république de Hollande et l’Espagne n’étaient point encore si abattues qu’elles ne pussent se relever, que des nations réduites au désespoir trouvaient quelquefois des ressources dans leur désespoir même, que les forces de la France n’étaient point absolument indomptables, que le cœur du royaume était entièrement dégarni de troupes et que la garde même de la personne du roi ne consistait actuellement qu’en quelque soixante ou quatre-vingts hommes, mal aguerris, tout le reste de sa garde ayant été envoyé à l’armée pour la renforcer. Une fois même, le médecin flamand, en conversant avec Du Cause, eut l’imprudence