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prendre et où ils pourraient faire main basse sur tout ce qu’ils rencontreraient.

Édifié sur ce qui se préparait, Du Cause, comme il nous le rapporte, éprouva d’abord un sentiment d’effroi ; il se hâta de remonter dans sa chambre, afin qu’on ne pût s’apercevoir qu’il s’était glissé de façon à écouter le colloque. Les choses étaient, on le voit, fort avancées. On était à la fin d’août 1674 et Van den Enden s’apprêtait à partir pour Bruxelles, où il devait avoir, avec le comte de Monterey, l’entretien que nous avons relaté. Pour dissimuler la véritable cause de ce départ précipité, le médecin flamand allégua des affaires urgentes. Il dit à Du Cause, en affectant une vive émotion, qu’il venait de recevoir des nouvelles fâcheuses de sa famille qui l’obligeaient à partir dès le lendemain pour Bruxelles, qu’il allait mettre sa fille au couvent.

Notre officier devina le motif réel du voyage ; il feignit d’être attristé de ce que lui annonçait son hôte et surtout de se voir séparé de Marianne. Il demanda à son père, comme faveur, qu’elle fût placée dans le couvent de la rue Sainte-Avoye, où s’était retirée la personne qu’il aimait, et Marianne joignit ses prières à celles de son galant. Van den Enden y accéda. Dès ce moment, Du Cause observa, plus attentivement que jamais, tout ce que faisait son hôte ; il remarqua que le lendemain, de très grand matin, celui-ci était allé à Saint-Mandé, manifestement pour s’entendre avec le chevalier de Rohan, qu’il en était revenu, vers le midi, et avait passé le reste de la journée à écrire. Il nota que Van den Enden ne partit pas, le jour d’après, malgré son dire, et qu’il avait reçu, dans l’après-dîner, le chevalier de Rohan et Latréaumont. Comme de coutume, ils s’étaient enfermés, tous trois ensemble, dans la pièce où se tenaient les conciliabules. « Je me glissai encore dans le corridor sombre, écrit Du Cause, et quelque soin qu’ils prissent de parler bas, j’entendis néanmoins assez distinctement le projet d’une descente en Bretagne, où les peuples avaient déjà commencé à se soulever, à cause de quelques impôts extraordinaires. » Il s’agissait de placer Rohan sur le trône ducal de Bretagne, à l’aide de la flotte hollandaise qui était dans la Manche, abondamment pourvue. Le projet devait recevoir son exécution au retour de Van den Enden de Bruxelles. Le chevalier de Rohan revint encore à la maison de Picpus pour prendre une cassette où étaient vraisemblablement des papiers importans, et il se rendit ensuite à Versailles. Le lendemain, le médecin flamand se mit en route pour Bruxelles. On a vu comment il s’acquitta de sa mission.

Il n’y avait plus le moindre doute à élever. La conspiration allait recevoir son exécution. Du Cause n’avait pas de temps à perdre pour