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avait jadis servi avec Latréaumont et était à peu près de son âge[1], l’aborda en ancien camarade. Pour mieux s’assurer de sa personne, le sachant homme à se défendre, il lui dit, après quelques complimens, qu’il était à regret envoyé, avec le détachement qui l’accompagnait, pour l’arrêter. « Pourquoi? répliqua Latréaumont. — Je l’ignore, » répondit le major. Latréaumont entra alors dans une violente colère, s’emportant contre Louvois, qui n’avait cessé, disait-il, de lui rendre de mauvais offices. Il s’écria qu’on lui faisait en ce moment l’injure la plus grave, « car il était, à ce qu’il assurait, aussi bon serviteur du roi que gentilhomme qu’il y eût dans le royaume, et n’avait rien à se reprocher touchant son service.» Il ajouta, en se modérant, que, se sentant innocent, il était prêt à suivre ceux qui venaient l’arrêter. Puis il demanda à passer, pour un instant, dans son cabinet. Il alla prendre sa robe de chambre dans la ruelle de son lit et ses armes qui y étaient cachées. Après quoi il reparut devant la petite troupe qui s’apprêtait à l’emmener, ayant un pistolet dans chaque main. Il lâcha un premier coup sur Brissac, en disant : «On ne me tient pas! » mais celui-ci ne fut pas atteint et la balle alla frapper un des gardes, qui eut le bras cassé et mourut au bout de quelques jours de sa blessure. Latréaumont allait décharger son second pistolet, lorsque Brissac, qui ne s’attendait pas à cette résistance, cria : u Vous tirez ! » l’un des gardes crut que leur chef donnait l’ordre de riposter, et il lâcha sur Latréaumont sa carabine, qui lui logea trois balles dans le ventre. Celui-ci tomba, à demi mort, sur le carreau. Brissac se hâta d’appeler un médecin et un chirurgien. Les blessures ne leur parurent pas mortelles ; ils les pansèrent, puis se retirèrent, laissant Latréaumont, dans sa chambre, reposer seul sur son lit. Mais le blessé, qui se voyait perdu, n’avait souci de sa guérison. Il profita d’un moment où les gardes ne l’observaient pas pour arracher l’appareil qui couvrait ses plaies ; elles se rouvrirent et provoquèrent une hémorragie à laquelle il ne tarda pas à succomber.

Le suicide d’un des organisateurs du complot contraria beaucoup Louvois, car il lui enlevait le moyen de saisir tous les fils de l’entreprise. Il accusa Brissac d’impéritie, et ce major aux gardes, qui figura comme témoin dans le procès, fut quelque temps en disgrâce. On mit bientôt la main sur un certain Condé, qui avait été chargé de l’affichage des placards. Il était originaire de Lorraine et avait servi, tour à tour, dans l’armée du duc de Lorraine et dans celle du maréchal de Luxembourg, où il n’avait laissé qu’une assez mauvaise réputation, y ayant été accusé d’escroquerie. Il menait une

  1. Il avait alors quarante-cinq ans.