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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/789

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beaucoup de fermeté. Puis, on procéda à la pendaison de Van den Enden. Amené sur le lieu de l’exécution, il contempla, sans s’émouvoir, la foule houleuse qui s’agitait devant lui et les vestiges de l’exécution de ses complices et son gibet préparé à deux pas de l’échafaud. Ses yeux ni son visage n’en furent nullement changés, écrit un témoin oculaire. Loin de faire paraître quelque faiblesse, il montra une fermeté et une constance de héros. Il soutint parfaitement le caractère des philosophes stoïques dont il se faisait gloire de suivre la secte. Il avait toujours soutenu que la vie n’est point un bien ni la mort un mal, que n’être plus en vie ou n’être point à Constantinople, par exemple, c’était une chose égale, que l’âme dégagée du corps gagnait beaucoup à se trouver délivrée d’un mauvais compagnon de voyage, qui l’afflige sans cesse par ses besoins, par ses passions, et par les différentes impressions qu’elle est forcée d’en recevoir. Tels étaient les principes qu’il avait dû enseigner à Spinoza, qu’il compta au nombre de ses élèves. Il écouta tranquillement le docteur qui était à ses côtés pour l’exhorter à mourir chrétiennement. Quant au crime pour lequel il était condamné, il n’en témoigna en mourant aucun repentir ; il avait soutenu, dans l’aveu qu’il fit de toutes les circonstances de la conspiration, que, dans un temps de guerre ouverte, il est permis à un sujet de l’état attaqué, de tout entreprendre pour sauver sa patrie opprimée et respirant à peine sous ses ruines, et que, dans ces terribles conjonctures, un sujet est trop heureux de pouvoir donner sa vie pour la délivrance de ses concitoyens.

Immédiatement après l’exécution, les restes du chevalier de Rohan furent transportés dans un carrosse couvert de drap de deuil, éclairé de six flambeaux blancs, à l’abbaye de Jouarre, où il avait demandé d’être enterré. L’autorité avait interdit que son corps fût dépouillé et fouillé.

La peine capitale ne frappa que les quatre téméraires qui avaient pris la part la plus active au complot dont Latréaumont était l’âme. De ceux qui avaient été arrêtés avec eux, les uns furent relâchés, faute de preuves suffisantes[1], les autres furent détenus arbitrairement, pendant un certain temps, ou renvoyés pour être jugés par d’autres juridictions qui ne devaient pas prononcer la mort. Le conseiller Le Boullenger d’Hacqueville avait été chargé d’informer contre ces divers prévenus. Celui d’entre eux qui semblait être le plus impliqué dans l’affaire, le comte de Fiers, dut surtout son élargissement

  1. Tel fut le cas pour le comte de Créqui, Sourdeval, Bourguignet, Mallet de Saint-Martin, la demoiselle de Villars, le sieur Dargent, Lanefranc, de Grieux, Dupuy, Lallemant du Coudray, Chàlon de Maigrement, etc.