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d’ordinaire à ce moment-là qu’ils reçoivent les Européens en visite auprès d’eux. À sept ou huit heures, il est pour eux déjà tard. Il est vrai qu’ils font la sieste en toutes saisons après la prière de midi ou d’une heure. Le milieu de la journée est toujours consacré au sommeil. Les affaires ne reprennent que de quatre ou cinq heures jusqu’à la prière du soir. Au surplus, on ne travaille guère que le matin : c’est tout l’opposé de ce qui se passe à Paris. Mais ne faut-il pas que les prières se disent aux momens prescrits ? Elles ont l’importance d’une affaire d’état, à laquelle on sacrifierait, au besoin, toutes les autres. Lorsque le sultan se lève le matin ou se relève de sa sieste au milieu de la journée, ce sont ses femmes qui procèdent à sa toilette. Il en a, dit-on, un nombre considérable. Les uns affirment qu’il en possède deux mille dans chacune de ses capitales, ce qui ferait six mille en tout, puisque ses capitales sont au nombre de trois : Fès, Meknès et Maroc ; d’autres donnent des chiffres un peu moins élevés, mais encore énormes ; ils ajoutent qu’outre les trois harems fixes des trois capitales, il y en a encore un de fixe, mais moins nombreux, à Rbat, plus une sorte de harem flottant qui marche avec le sultan d’une ville à l’autre. L’organisation de ces harems est fort régulière. Les femmes y sont divisées par escouades d’une trentaine environ. Chaque escouade est administrée par une matrone, personne de tête et d’autorité, généralement née ou nourrie dans le harem et qu’on nomme ârifa. Ces ârifas sont fort intelligentes : elles ont beaucoup vu, beaucoup appris ; leur influence sur le sultan est grande, ce qu’on s’expliquera sans peine lorsque j’aurai exposé toute l’étendue de leurs attributions ; on s’adresse sans cesse à elles pour obtenir des grâces et des faveurs ; comme elles sont d’ordinaire assez laides, qu’elles n’ont jamais eu de prétentions personnelles, elles ont toujours joui d’une liberté relative ; elles aiment à causer ; c’est par elles que, lorsque pour une raison ou pour une autre on parvient à pénétrer dans le harem, on en apprend l’organisation et les mœurs ; elles en savent le passé et le présent ; elles en sont la chronique vivante. Toutes les femmes leur sont soumises. Aucune n’est admise dans le harem sans leur approbation. Le recrutement se fait de la manière la plus simple. Les familles influentes du pays, familles de caïds ou de fonctionnaires, ne se sentent assurées d’une certaine tranquillité qu’à la condition d’avoir une parente au harem. Aussi, dès qu’une jolie enfant arrive à cet âge, si précoce en Afrique, où la jeune fille est sur le point d’éclore, son père ou ses frères s’empressent-ils de la proposer au sultan. Il faut de nombreuses démarches pour que cette proposition soit écoutée, car l’offre dépasse de beaucoup la demande. Lorsqu’elle l’est, le sultan envoie un certain nombre d’ârifas procéder à une enquête minutieuse sur le cadeau qu’on prétend lui