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joué dans l’histoire de l’islamisme. Tant que la puissance arabe s’est maintenue dans tout son éclat, Fès en a été en quelque sorte le centre et le foyer. Même lorsque des rivales heureuses, comme Maroc, lui enlevaient le privilège d’être la capitale politique du Maghreb, elle n’en demeurait pas moins, grâce à ses célèbres écoles, à ses fameuses mosquées, à ses tombeaux illustres, la capitale intellectuelle et morale de l’Occident musulman. C’est que la bénédiction de son fondateur était sur elle. Ce fondateur, on le sait, fut le second des imans édrissites, Edriss-ben-Edriss, une des plus nobles figures de l’islamisme. Chassé de l’Arabie en l’an 788 de Jésus-Christ, son père, cinquième descendant d’Ali, gendre du Prophète, était arrivé en proscrit au Maroc ; les Berbères l’y reçurent en maître et l’y proclamèrent leur chef et leur iman. Comme il convenait à un chercheur d’aventures, sa première résidence avait été en pleine montagne, dans le Djebel-Zerhoum ; Oualily, la Volubilis des Romains, était devenue sa capitale. Mais son fils, partout victorieux dans le présent, parfaitement assuré de l’avenir, jugea que la ville d’Oualily était trop petite pour son empire naissant, dont il entrevoyait les glorieuses destinées. Il choisit donc différens lieux pour la construction d’une ville nouvelle. Seulement, chaque fois qu’il en avait jeté les fondemens, une crise de la nature, des torrens débordés, des tempêtes subitement déchaînées, des fleuves sortis de leurs lits les emportaient en quelques heures. C’est ainsi que la volonté de Dieu se manifestait. Tout saint qu’il fût, Edriss-ben-Edriss ignorait peut-être une prophétie du Prophète (que Dieu le bénisse et le sauve !) dont « les propres paroles » ont été rapportées, longtemps après la fondation de Fès, il est vrai, ce qui ne doit rien enlever de leur mérite aux yeux des gens de foi, dans le livre d’Edraiss-ben-Ismaël-Abou-Mimouna, lequel a écrit de sa « propre main » ce qui suit : « Abou-Medhraf d’Alexandrie m’a dit qu’il tenait de Mohammed-ben-Ibrahim-el-Mouaz, lequel le tenait d’Abd-er-Rhaman-ben-el-Kasem, qui le tenait de Malek-ben-Ans, qui le tenait de Mohammed-ben-Chahab-el-Zahery, qui le tenait de Saïd-ben-el-Mezzyb, qui le tenait d’Abou-Herida, lequel avait entendu de Sidi-Mohammed lui-même (que Dieu le sauve et le bénisse !) la prophétie suivante : — Il s’élèvera dans l’Occident une ville nommée Fès, qui sera la plus distinguée des villes du Maghreb ; son peuple sera souvent tourné vers l’orient ; fidèle au sonna et à la prière, il ne désertera jamais la vérité, et Dieu gardera ce peuple de tous les maux jusqu’au jour de la résurrection. » — Ayant donné lui-même son nom à la ville, comment Mohammed n’en aurait-il pas fixé l’emplacement ? Il s’agissait donc de trouver ce lieu prédestiné. Edriss-ben-Edriss chargea son ministre Ameïr-ben-Mozzhab-el-Azdy de le découvrir. Celui-ci parcourut à cet effet Fhahs-Saïs, et s’arrêta aux