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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/802

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xii. — fès.


Pendant les trois jours de notre captivité, avant l’audience du sultan, nous n’avions pu voir de Fès que les terrasses chargées de femmes qui s’étendaient en étagères au-dessous de notre jardin. Nous en avions profité pour étudier l’histoire d’une ville qui avait à nos yeux un vif intérêt de curiosité. Il devient de plus en plus rare et difficile de rencontrer une cité arabe immaculée. La plus belle, la plus charmante de toutes, le Caire, est tellement envahie par l’Europe qu’à peine y trouve-t-on quelques quartiers perdus au milieu des constructions modernes qui rappellent encore le passé évanoui. Damas est mieux conservé, bien que, là aussi, ce que nous nommons le progrès, la civilisation, ait largement pénétré. Et puis, les Turcs règnent depuis des siècles à Damas, race barbare et brutale qui souille et dépoétise tout ce qu’elle touche. Jérusalem est aux trois quarts chrétienne, et de plus en plus la vieille ville, heureusement intacte, se voit écrasée sous une ville neuve de couvens, d’hôpitaux et d’églises, où tous les peuples d’Europe rivalisent de mauvais goût. Il restait à l’islamisme deux asiles à peu près inviolés, — car je ne parle pas de La Mecque, où l’art n’a jamais brillé à côté de la religion, — Kairouan et Fès. Nous sommes entrés en maîtres à Kairouan : les mosquées en ont été profanées par les bottes de nos soldats. Fès seule est encore vierge de toute insulte. Les Européens peuvent y séjourner, mais aucun ne s’y est fixé, aucun n’y a bâti, aucun surtout n’a mis un pied téméraire dans ses mosquées vénérées. Nos modes, nos industries, nos mœurs, notre religion, n’y sont pas moins inconnues que méprisées. Rien n’y distrait de la vie arabe, qui se déroule là dans toute sa pureté ; si bien que, quand on a passé quelques semaines à Fès, on ne se sent pas moins éloigné de l’Europe dans le temps que dans l’espace ; on est rejeté de plusieurs siècles en arrière ; on a remonté le cours des âges pour s’arrêter, non pas hélas! à l’époque glorieuse où le Maroc était le rendez-vous de toutes les sciences et de tous les arts, qui se répandaient de là sur l’Europe, mais à l’époque postérieure où l’islamisme, chassé d’Espagne, se repliait sur lui-même en Afrique, cherchant à échapper à l’inévitable décadence par un retour à la sainte ignorance et au plus aveugle fanatisme.

On comprend donc à quel point il me tardait, à moi qui ai visité tour à tour Le Caire, Damas, Jérusalem et Kairouan, de pouvoir parcourir Fès à mon gré. Je savais que, pour la plupart des musulmans d’Afrique, elle est la première ville sainte après La Mecque. Sa sainteté provient, et de son origine, et du rôle glorieux qu’elle a