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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/831

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sons… Que n’en coûte-t-il pas pour le flatter ? Quelles traverses ! Quelles alarmes ! Quelles bassesses ! Quelle lâcheté !… Quelle pauvreté effective dans une abondance apparente !… Tout y trahit le cœur, jusqu’à l’espérance,… les désirs s’évanouissent ; ils deviennent farouches et insatiables ; l’ennui déchire les entrailles ; on est malheureux non-seulement par son propre malheur, mais par la prospérité d’autrui… On ne peut ni assouvir les passions, ni les vaincre. On en sent la tyrannie et on ne veut pas en être délivré. »

Après les plaisirs, les affaires : autre source apparente de plaisirs, car nous aimons l’action et l’agitation : « Comme la vie est dans l’action, celui qui cesse d’agir semble avoir cessé de vivre… Les hommes croient qu’ils n’agissent pas s’ils ne s’agitent, et qu’ils ne remuent pas s’ils ne font du bruit. » Examinons dans le détail cette vie agitée : obligation de se détourner de la droite voie, « de se ménager entre la justice et la faveur, entre le devoir et la complaisance ; » obligation de se tromper les uns les autres ; fausses amitiés : « on se ménage par discrétion ; on oblige par honneur et on sert par intérêt… La fortune fait les amis, la fortune les change. Oh ! si nous pouvions percer dans le fond des cœurs ! s’écrie Bossuet peut-être par réminiscence de La Rochefoucauld, quel étrange spectacle, et que nous serions étonnés de nous voir les uns les autres, avec nos soupçons, et nos jalousies et nos répugnances secrètes ! » De là les fausses vertus, les vertus du monde : « Elles se soutiennent vigoureusement jusqu’à ce qu’il s’agisse d’un grand intérêt ; mais elles ne craignent pas de se relâcher pour faire un coup d’importance… Ce sont des vertus de Pilate ; on en veut savoir les devoirs, mais nonchalamment,… on étale une vertu de parade dans de faibles occasions, qu’on laisse tout à coup tomber dans les importantes. » Voyez encore ce portrait de la vertu mondaine, qui, grâce à quelque mélange de faux honneurs, réussit à faire passer le vice pour la vertu : « Pousser ses amis à quelque prix que ce soit, venger hautement ses injures,… C’est bienfaisance, grandeur d’âme, noblesse de sentiment !… Cet homme s’est enrichi par des concussions épouvantables ; mais il tient bonne table ; cela paraît libéral : c’est un fort honnête homme ; il fait belle dépense du bien d’autrui. Vous vous vengez par un assassinat,… mais ç’a été un beau duel ; le monde vous applaudit et vous couronne… L’impudicité même, que l’on appelle brutalité quand elle court ouvertement à la débauche, si peu qu’elle s’étudie à se couvrir de belles couleurs, ne va-t-elle pas tête levée ? Ne semble-t-elle pas digne des héros ? Eh quoi ! cette légère teinture a imposé si facilement aux yeux des hommes !… Ceux qui ne se connaissent pas en pierreries sont trompés par le moindre éclat. »