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superbe? Tout cela est d’une vérité profonde et éternelle. Et cependant, quand on se place au point de vue de la réalité des choses, on se demande comment le monde pourrait se passer des ambitieux. Le pouvoir serait une charge insupportable que tout le monde rejetterait sur son voisin, si le poids n’en était pas allégé par l’attrait qu’exerce sur nous la pensée de notre agrandissement. Quelque difficile qu’il soit de fixer une limite, quelque glissant que soit le passage de l’une à l’autre, il y aura toujours à distinguer l’ambition légitime de celle qui ne l’est pas. Si l’on condamne cette passion, pourquoi pas toutes les autres? et n’est-ce pas précisément ce que les chrétiens eux-mêmes ont reproché aux stoïciens ?

Ce que Bossuet ne connaît pas moins que l’ambition, c’est le vice de l’orgueil et de l’amour-propre. Comme La Rochefoucauld, il dit que « l’amour-propre est le plus grand des flatteurs. » Il se souvient évidemment de cette pensée et la développe dans le passage suivant : « Ne parlons plus de flatteurs du dehors; parlons d’un flatteur qui est au dedans, par lequel tous les autres sont autorisés. Toutes nos passions sont des flatteries, nos plaisirs sont des flatteurs; surtout notre amour-propre est un grand flatteur qui ne cesse de nous applaudir; et tant que nous écouterons ce flatteur caché, jamais nous ne manquerons d’écouter les autres ; car, les flatteurs du dehors, âmes vénales et prostituées, savent bien connaître la force de cette flatterie intérieure. Ils s’accordent avec elle, ils agissent de concert et d’intelligence; ils s’insinuent si adroitement dans le commerce de nos passions, dans cette complaisance de notre amour-propre, dans cette secrète intrigue de notre cœur, que nous ne pouvons nous tirer de leurs mains ! » c’est encore de La Rochefoucauld que Bossuet s’inspire évidemment lorsqu’il dit : « L’amour-propre s’accroche à tout; il est inépuisable en beaux prétextes; il se replie comme un serpent ; il se déguise; il prend toutes les formes ; il invente mille nouveaux besoins pour flatter sa délicatesse. Il se dédommage en petits détails des sacrifices qu’il a faits en gros. Que dis-je? Il profite de sa propre défaite... en se réjouissant de l’avoir vaincu, on le rétablit dans ses droits. » Cet orgueil qui, en tout, veut exceller, se montre à tous les étages de la société et chez tous les hommes : « Ceux qui voient tous les jours les emportemens des paysans pour des bancs dans leurs paroisses, et qui les entendent porter leur ressentiment jusqu’à dire qu’ils n’iront plus à l’église si on ne les satisfait, sans écouter aucune raison, ni céder à aucune autorité, ne reconnaissent que trop dans ces âmes basses la plaie de l’orgueil, et le même fond qui allume les guerres parmi les peuples et pousse les ambitieux à tout remuer.» En un mot, « chacun veut tout mettre à ses pieds et s’établir une