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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/846

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sans se demander si ce portrait du sage n’était pas un idéal, un modèle présenté à l’imitation lointaine des hommes, et dont ils ne peuvent que s’approcher par un progrès insensible. « O maximes pompeuses ! O insensibilité affectée! O fausse et imaginaire sagesse, qui se croit forte parce qu’elle est dure, et généreuse parce qu’elle est enflée! » Au reste, on ne peut nier que Bossuet ne soit dans le vrai quand il oppose à la dure austérité du stoïcien « la modeste simplicité du Sauveur, » et le vif sentiment qui respire dans l’évangile du poids des douleurs humaines : Vos autem contristabimini.

Bossuet ne condamne pas seulement l’orgueil des savans et surtout des philosophes, il critique aussi, d’une ironie vraiment cruelle, la vanité des beaux-esprits, sans se demander encore s’il ne proscrit pas comme Platon, dont il invoque le nom, la poésie véritable, aussi bien que la poésie des ruelles et des abbés de cour : « On en voit, dit-il, qui passent leur vie à tourner un vers, à arrondir une période, à chanter un amour feint ou agréable, et à remplir l’univers des folies de leur jeunesse égarée. » Il leur reproche durement les éloges mercenaires qu’ils font des grands et « la bassesse de leurs flatteries, » comme si ce n’était pas là la dure nécessité d’un art qui n’était pas encore assez riche pour se suffire à lui-même ; il les raille s’ils réussissent « de mettre toute leur félicité dans un bruit qui se fait dans l’air ; » il dénonce enfin « le venin de leurs mordantes satires et le poison de leurs écrits ennemis de la piété et de la pudeur. » Mais de tous les poètes, ceux qu’il condamne le plus, ce sont les poètes dramatiques. Dans sa Lettre au père Caffaro et dans ses Maximes sur la comédie, il montre, avec une grande force de raisonnement, qu’un poète ne peut être intéressant sur le théâtre sans toucher et sans remuer les passions ; autrement « le poète tombe dans le froid, dans l’ennuyeux, dans le ridicule : Aut dormitabo, aut ridebo. » Si de flatter les passions n’est pas l’objet du théâtre, pourquoi l’âge où l’on en est le plus touché est-il celui où les passions sont le plus violentes? Comment toucher les passions sans les réveiller, sans en renouveler le plaisir et l’impression? On dit que l’amour n’est peint que comme une faiblesse ; sans doute, mais une telle faiblesse est la faiblesse des héros. Le théâtre ôte, dit-on, à cette passion ce qu’elle a de grossier, on ne la peint que comme une affection innocente qui se termine au nœud conjugal. Mais ce n’est qu’une apparence. Ce grossier ferait horreur si on le montrait à nu, et « l’adresse de le cacher ne fait qu’attirer les volontés d’une manière plus délicate. Le remède du mariage vient trop tard ; la passion ne saisit que son propre objet ; et l’union conjugale n’est que pour la forme dans les comédies.