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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/857

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domestiques dont on ne sait lequel retrancher ; des enfans qu’on ne peut pourvoir. On souffre, mais on cache la souffrance ; non-seulement on est pauvre, mais pauvre honteux ; et l’on fait souffrir d’autres pauvres, je veux dire des créanciers pauvres prêts à faire banqueroute et à la faire frauduleusement. Voilà ce qu’on appelle les riches de la terre. »

Si Bossuet est sévère pour la richesse, il ne l’est pas moins pour la noblesse, et il peut fournir amplement des mouvemens de rhétorique à nos démocrates égalitaires : « La naissance n’est rien : c’est le mérite de nos ancêtres, qui n’est pas le nôtre : c’est se parer du bien d’autrui,.. de plus, ce n’est presque jamais qu’un vieux nom oublié dans le monde, avili par beaucoup de gens sans mérite... La noblesse n’est souvent qu’une pauvreté vaine, ignorante et grossière qui se pique de mépriser tout ce qui lui manque : est-ce là de quoi avoir le cœur si enflé! » Quelques efforts que fassent les hommes pour dissimuler l’égalité originelle, il y a trois états dans lesquels subsiste son égalité nécessaire : « la naissance, la durée et la mort. » Qu’ont donc fait les enfans d’Adam pour couvrir et effacer cette égalité ? Voici les inventions par lesquelles ils s’imaginent forcer la nature et se rendre différens des autres malgré l’égalité qu’elle a ordonnée : « l’on a trouvé le moyen de distinguer les naissances illustres avec les naissances vulgaires, et le sang noble et le sang roturier, comme s’il n’avait pas les mêmes qualités et n’était pas composé des mêmes élémens.» Il en est de même pour la mort. « La vanité tâche en quelque sorte d’en couvrir la honte par les honneurs de la sépulture ; » mais c’est bien là une vaine et vide supériorité, et il ne se voit guère « d’hommes assez insensés pour se consoler de leur mort par l’espérance d’un superbe tombeau. »

Ainsi tous les hommes, malgré les apparences, sont et restent égaux. Mais n’y a-t-il pas cependant quelques sources de grandeur qui mettent certains d’entre eux hors de pair? n’est-ce rien que la gloire, le pouvoir, la victoire, la royauté? Non; ce sont là autant de misères et de vanités : « Ces idoles que le monde adore, à combien de tentations délicates ne sont-elles pas exposées? La gloire, il est vrai, les défend de quelques faiblesses ; mais la gloire les défend-elle de la gloire même? Ne s’adore-t-elle pas secrètement? Ne veulent-elles pas être adorées? » Peut-être ceux qui disposent du sort des hommes peuvent-ils se croire une solidité d’existence, une force vraiment substantielle par laquelle ils l’emportent sur tous. Quoi de plus réel que le pouvoir! Quoi de mieux prouvé par la soumission des uns, les flatteries des autres, même par les insultes des envieux ; et, cependant, c’est encore une vanité ! Les