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des dieux ! Eh bien ! il ne craindra pas de porter atteinte à ces dieux mêmes, et il le fera avec une liberté voisine de l’irrévérence. Ne semble-t-il pas, en effet, faire d’avance allusion à Louis XIV lui-même et à la folle apothéose de La Feuillade qui lui avait dressé un autel à la place des Victoires, lorsqu’il nous dit : « Nabuchodonosor ne se contente pas des honneurs divins. Mais comme sa personne ne peut soutenir un éclat si haut, démenti si visiblement par notre misérable mortalité, il érige sa magnifique statue ; il éblouit les yeux par sa richesse ; il étonne l’imagination par sa hauteur, il étourdit tous les sens par le bruit de ses symphonies et par celui des acclamations qu’on fait autour d’elle, et ainsi l’idole de ce prince, plus privilégiée que lui-même, reçoit des adorations que personne n’ose demander. » Il dénonce les illusions et les dangers du pouvoir absolu : « Que cette épreuve est difficile ! Que ce combat est dangereux ! Qu’il est malaisé à l’homme, pendant que tout le monde lui accorde tout, de se refuser quelque chose ! Cette grande puissance, semblable à l’eau, n’ayant pas trouvé d’empêchement, s’est laissée aller à son poids et n’a pas pu se retenir. Vous qui arrêtez les flots de cette mer, ô Dieu ! donnez des bornes à cette eau coulante ! Régnez, ô Jésus-Christ, sur tous ceux qui règnent ! qu’ils vous craignent du moins, puisqu’ils n’ont que vous seul à craindre ! » Et, enfin, s’adressant au roi lui-même, à Louis XIV en personne et en face de lui, il lui disait du haut de la chaire : « Votre Majesté rendra compte à Dieu de toutes les prospérités de son règne. Plus la volonté du roi est absolue, plus elle doit être soumise. Rien de plus dangereux à la volonté d’une créature que de penser qu’elle est trop souveraine ; elle n’est pas née pour se régler elle-même ; elle se doit regarder dans un ordre supérieur. »

Ainsi nous avons parcouru tous les degrés, tous les échelons de la société, toutes les classes et tous les genres de vie. Il nous reste à reprendre la vie humaine dans son ensemble, dans ses phases nécessaires et dans son issue inévitable, et nous aurons achevé de connaître Bossuet comme moraliste et comme peintre des choses humaines.


V. — LA VIE ET LA MORT.

C’est ici que nos pessimistes auront beau broyer leurs couleurs les plus noires et charger leurs pinceaux, remplaçant la force par l’amplification et la tragédie par le mélodrame, ils ne diront rien de plus saisissant et de plus amer que le grand orateur chrétien. C’est qu’en effet le pessimisme moderne se réduit à une doctrine