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entre Bruges et Courtrai, Carel van Mander appartenait à une famille ancienne et aisée, qui ne négligea rien pour son éducation. De bonne heure, l’enfant avait montré les goûts entre lesquels son existence allait être partagée : celui de l’art et celui des lettres. Comme tout gamin qui doit devenir peintre, il n’avait pas manqué de couvrir de croquis les marges de ses cahiers d’écolier. L’humeur malicieuse, qu’il conserva toute sa vie, perçait déjà dans les épigrammes et les charges plus ou moins plaisantes dont les domestiques de sa famille furent les premières victimes. Ses parens n’entravèrent en rien sa vocation précoce et, après avoir appris le latin et le français à Thielt, puis à Gand, il était entré dans cette dernière ville à l’atelier de Lucas de Heere, un des artistes le plus en vue à cette époque. L’exemple de ce maître devait encourager la double vocation de l’enfant. De Heere était à la fois un peintre et un lettré. Ses parens avaient eux-mêmes pratiqué les arts : son père était sculpteur et van Mander vante la perfection que sa mère avait acquise comme miniaturiste. Il avait lui-même beaucoup voyagé, en Angleterre, en France, où il retrouvait, à Fontainebleau, plusieurs de ses compatriotes occupés à décorer cette résidence, et la reine Catherine de Médicis l’avait même chargé de quelques travaux. C’était un homme bien élevé, spirituel, connu pour la piquante vivacité de ses reparties. Son talent de portraitiste était apprécié par les riches amateurs et même par les souverains ; mais ainsi que la plupart des artistes de son temps, il ne croyait pas déchoir en travaillant pour les industriels qui lui faisaient des commandes, et il fournissait aux peintres verriers des cartons pour les vitraux, et aux imprimeurs des dessins destinés à la gravure. Poète, il avait publié plusieurs compositions en vers, réunies sous le titre de Verger des poèmes, et c’est dans ce recueil que figure la pièce assez connue dans laquelle il célèbre les louanges de l’Adoration de l’Agneau, l’ouvrage des frères van Eyck. Malgré l’admiration qu’il y professe pour la poésie un peu mystique de ce chef-d’œuvre, Lucas de Heere se sentait porté vers les idées nouvelles ; il embrassait la réforme et, à la suite de la publication faite par lui, en 1568, d’une traduction des Psaumes de Marot et de Théodore de Bèze, il avait été banni de sa ville natale et s’était expatrié. Après un court séjour à Middelbourg, en Hollande, il se réfugiait à Paris, où l’on croit qu’il mourut en 1584.

Bien qu’il n’eût passé qu’un an dans l’atelier de Lucas de Heere, van Mander conserva toujours pour lui une grande affection, et les souvenirs qu’il se plaisait à lui envoyer attestent la reconnaissance qu’il lui avait vouée. Il semble, d’ailleurs, qu’il se soit appliqué à calquer sa vie sur celle de son maître. Comme lui, il devait adopter