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la religion réformée et continuer, avec plus de suite, une tâche que Lucas de Heere avait également entreprise, celle de réunir sur les artistes flamands, ses prédécesseurs ou ses contemporains, tous les renseignemens qu’il pouvait se procurer. Obligé de chercher d’autres leçons, van Mander était devenu l’élève de Pierre Vlérick, à Courtrai d’abord, puis à Tournai, où, faute de pouvoir vivre de son art, celui-ci avait dû s’établir avec sa famille, La vie dans cette dernière ville n’était pas beaucoup plus facile, et les occasions d’exercer et d’accroître son talent n’y étaient ni nombreuses, ni surtout bien profitables : comme le dit van Mander, en parlant de ce changement : « ce n’était que passer d’enfer en purgatoire. » Vlérick, en effet, n’était pas au bout de ses peines, et les troubles, les violences auxquelles la contrée qu’il habitait allait être livrée l’exposèrent par la suite à de nouvelles mésaventures. Aussi eût-il volontiers dissuadé son élève de continuer une carrière qui lui avait valu tant de misères. Vlérick, cependant, avait, ainsi que Lucas de Heere, voyagé en Italie, à Rome, à Venise, où, paraît-il, il était un moment tenté de se fixer avec la possibilité d’y épouser la fille du Tintoret. C’est avec enthousiasme qu’il parlait de ce maître, de Titien, de Véronèse, dont il avait pu admirer les beaux ouvrages. Aussi, excités par ses récits, les jeunes gens qui fréquentaient son atelier n’avaient-ils qu’un désir, celui d’aller passer quelques années au-delà des monts, afin d’y compléter leur éducation.

Rentré un an après dans sa ville natale, van Mander y était resté abandonné à lui-même. Meulenbeck était un milieu bien modeste pour suffire à une activité telle que la sienne, et il aurait pu, d’ailleurs, y employer son temps d’une manière plus profitable à son art. Peut-être aussi sa famille était-elle, à ce moment, peu disposée à le voir persévérer dans une carrière aussi chanceuse. Ses frères s’occupaient de commerce, et lui-même, négligeant un peu la peinture, consacrait à la poésie la plus grande partie de ses journées. Il écrivait des vers que les chambres de rhétorique de la contrée couronnaient dans leurs concours ; il remportait des prix de déclamation ou composait des pièces dont il peignait lui-même les décors, et dont la représentation était parfois accompagnée de plaisanteries d’un goût assez douteux, comme ce Déluge au cours duquel il fit pleuvoir sur les spectateurs une véritable averse. Cependant, malgré l’incertitude des temps, — à la suite des persécutions religieuses, on était alors à la veille des luttes les plus sanglantes entre l’Espagne et les Pays-Bas, — le jeune homme avait obtenu de sa famille la permission de partir pour l’Italie (1570). Les détails nous manquent sur ce voyage qui devait exercer une influence considérable sur l’esprit et le talent de van Mander. Il avait pu voir de