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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/880

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Ces scrupules de véracité redoublent lorsque van Mander aborde la biographie des artistes ses contemporains. Il sent que sa tâche devient alors plus difficile et proteste de son désir d’être vrai et modéré dans les jugemens qu’il porte sur « les hommes et sur les œuvres. » Aussi est-ce là, on le comprend, la partie la plus intéressante de son livre. Sans doute il a pu ajouter aux indications que lui avaient transmises ses devanciers, notamment pour ce qui concerne Holbein, Albert Dürer et même les peintres de l’école primitive ; mais les renseignemens qu’il nous donne sur les artistes qu’il a personnellement connus sont bien autrement abondans et précis. Tous les historiens qui viendront après lui ne feront guère que le copier et le plus souvent leurs additions seront sujettes à caution. Aussi, à l’encontre de ceux-ci, une critique sévère n’a pu que confirmer la plupart de ses témoignages et prouver que, sur quelques-uns des points où l’on avait cru devoir s’écarter de lui, il n’était pas en défaut.

Van Mander s’applique donc de tous ses efforts à une impartialité absolue. Il est difficile de surprendre dans ses jugemens la moindre trace de ces préventions personnelles auxquelles cèdent trop souvent les artistes qui s’occupent de critique et, après une vie comme la sienne, cette liberté d’esprit est particulièrement méritoire. Ce Flamand, que le malheur des temps a forcé de s’exiler, n’est injuste ni pour ses anciens, ni pour ses nouveaux compatriotes. Dans les appréciations qu’il fait de leurs œuvres, il ne laisse rien percer non plus de ses convictions religieuses. Bien qu’il soit devenu protestant, il s’élève avec indignation contre le pillage des églises catholiques ; il déplore éloquemment les actes de vandalisme dont il a été témoin et la perte de tant de chefs-d’œuvre disparus « dans l’épouvantable cataclysme de la destruction des images. » Noble de naissance, ce n’est pas lui qui considérerait comme indigne d’un homme bien né une profession à laquelle il a dû de faire vivre et de soutenir les siens. Nous le voyons signaler comme un travers méprisable la conduite de ce jeune seigneur qui, portraitiste habile, « ne consentit jamais cependant à faire sa pièce de maîtrise pour ne pas figurer parmi les peintres de profession, croyant par là déroger à la noblesse de sa race. » Van Mander est, au contraire, pénétré de la dignité de son art ; il trouve l’occasion bonne pour rappeler la considération dont cet art jouissait dans l’antiquité et cite l’exemple « de la noble famille des Fabiens, qui aimaient à se glorifier du nom de peintres. » Son amour de la tranquillité, de la paix, qu’il n’avait guère connues pendant sa vie, est d’accord avec son orgueil de peintre pour lui persuader que, dans la société, les artistes sont les égaux des plus grands. Il rapporte avec complaisance tous les traits qu’il a pu recueillir dans l’antiquité et de son temps relativement aux honneurs