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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/881

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qui leur ont été rendus par les princes, et il se refuse à accepter la prétendue supériorité des grands capitaines, « ces destructeurs d’hommes auxquels l’histoire réserve cependant la plus belle place. »

Dans son désir de voir ses confrères honorés, van Mander songe à les prémunir contre toutes les fausses séductions qui peuvent compromettre leur réputation ou leur talent et il ne leur épargne pas les conseils. Il leur dénonce les dangers de toute sorte qui les attendent en Italie, sur les grands chemins, dans les auberges. Sans jamais se plaindre de sa propre destinée, il ne voudrait pas leur voir contracter ces unions prématurées, qui trop souvent ont empêché les organisations les plus remarquables d’atteindre leur complet développement. Il désire, au contraire, qu’un peintre conserve son indépendance, et blâme a comme inconsidérés ceux qu’un amour excessif du lieu natal, voire même un attachement exagéré pour leurs parens, voue pour jamais à la misère; ceux qui se marient trop tôt sont de bonne heure chargés de famille et ne peuvent être d’aucun secours à leurs amis, à leurs proches ni, pour ainsi dire, à eux-mêmes. » Il souhaiterait surtout pouvoir les préserver de ces liaisons dont l’issue ne peut que leur être fatale, et, à propos d’Hubert Goltzius[1], qui avait en secondes noces épousé une femme d’une condition plus que médiocre, il déplore l’illusion, « si commune aux hommes sages et intelligens, qui espèrent pouvoir, par leurs raisonnemens, l’éducation et l’exemple, détacher de leurs fâcheux penchans les femmes par lesquelles ils se sont laissé abuser. » Enfin, avisé et prudent, il ne voudrait ni contrister ni froisser ceux de ses confrères dont il a pu omettre les noms. S’ils méritaient d’être cités, il compte que les progrès de leur talent forceront la renommée et leur acquerront la célébrité. Que si, au contraire, il a vanté quelqu’un de ses confrères au-delà de ses mérites, il pense que ces louanges seront pour lui un stimulant à s’en rendre digne.

Quelle que soit, en fait d’art, l’impartialité de van Mander, il a évidemment ses préférences. Pour lui, l’Italie est vraiment la maîtresse des arts et l’admiration qu’elle lui inspire perce à chaque instant; à diverses reprises, il loue ceux qui ont introduit dans les Pays-Bas, « pure et sans mélange, la véritable manière italienne. » Mais ses prédilections ne lui ferment pas les yeux sur les mérites des peintres de son pays. Il supporte difficilement les critiques faites par Vasari et il craint qu’une hostilité préconçue envers les étrangers ne lui dicte ses appréciations. Aussi les défend-il contre lui en maintes circonstances, et il est heureux de constater que Mytens, un de ses confrères, a su par son talent « rendre les Italiens un peu plus réservés dans leurs propos en ce qui concerne l’infériorité des

  1. Le peintre archéologue, cousin germain d’Henri Goltzius, le célèbre graveur.