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croiriez voir deux arts qui restent juxtaposés sans se confondre et qui, au lieu de se faire aucune concession, se défient mutuellement. Ce n’est pas une moyenne prise entre eux, ce sont deux exagérations qui persistent et qui n’en paraissent que plus choquantes, comme ces modes qu’un goût sévère n’accepte que difficilement, mais qui deviennent tout à fait extravagantes quand on les voit portées par des étrangers, avec une outrecuidance qui en double le ridicule. A quelles convenances, d’ailleurs, aurait répondu ce beau style dans une contrée où les catholiques, devenus la minorité, avaient vu leurs églises pillées, livrées à leurs adversaires ? Au lieu des tableaux, des dorures, des processions, de tout le luxe avec lequel le culte est célébré en Flandre, les temples aux murailles nues de la Hollande ne s’ouvrent que pour des chants graves, des prêches ou des controverses abstraites sur des dogmes tristes et austères. C’en est fini des grandes décorations religieuses et, quant aux sujets mythologiques, on sait assez les déguisemens grotesques et les inventions baroques auxquels ils ont servi de prétexte chez des peintres tels que Pynas, Uytenbroëck, Lastman et Rembrandt lui-même.

Que restait-il donc à cet art ainsi privé de tout ce qui jusque-là avait été sa principale ressource, et quel domaine allait s’offrir à son activité? À cette question la réponse a depuis longtemps été faite. Il lui restait, on l’a dit excellemment, à représenter à la fois le portrait de ce cher pays, deux fois conquis, sur la mer et sur l’Espagnol, et le portrait de ses libérateurs. L’école hollandaise demeura jusqu’au bout fidèle à ce simple programme qui devait faire son originalité et sa grandeur. Mais cet art sur lequel les influences étrangères ont eu si peu de prise, cet art dont les racines plongent si avant dans le sol et qui a trouvé en lui-même toute sa force, cet art profondément national a-t-il été, aussi complètement que l’a prétendu Fromentin, indifférent à la vie du peuple, qui était son inspirateur, et aux événemens héroïques par lesquels il venait d’assurer son indépendance? Le contraste serait piquant et de nature à déconcerter toute logique, mais il est plus spécieux que réel. Présentée sous une forme vive et spirituelle, la thèse a trouvé facilement créance ; au fond, c’est un pur paradoxe. Il est aisé de comprendre comment elle a pu être acceptée par le fin critique qui, sur tant de points, a étendu et renouvelé l’étude de l’art hollandais. Dans la rapide et brillante esquisse qu’il nous en donne, Fromentin, comme il le dit lui-même, s’est borné aux plus grandes œuvres de cet art et aux grandes collections publiques qui les contiennent. Même en se limitant ainsi, la trace qu’on y pourrait trouver des événemens contemporains n’est pas aussi restreinte qu’il le croit et qu’il l’indique. Mais ce n’est pas seulement dans les musées qu’il faut chercher cette trace, et ce n’est pas pour eux que les œuvres où on la découvre ont été