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pareil mouvement. Si donc le soldat baisse la tête aussi soudainement, c’est que ce sifflement de la balle a une signification très claire. C’est la mort qui a passé près de lui. Il le sait, sans avoir besoin d’y penser longuement ; il est préparé à cette idée par une longue méditation ; et alors, avant qu’il ait fait un raisonnement conscient sur les effets d’une balle qui siffle, l’association des idées s’est opérée dans son esprit et a déterminé son mouvement subit.

Si, pendant que la foule regarde Léotard faire ses exercices de trapèze, une des cordes vient à se rompre, aussitôt une grande émotion s’empare de la plupart des spectateurs. Quelques-unes des femmes se trouvent mal ; d’autres poussent un cri. Les plus braves ont un frisson et pâlissent. Ce sont là, certes, des phénomènes bien involontaires, partant réflexes. Mais il faut, pour qu’ils existent, une certaine compréhension intelligente de ce qui s’est passé. Une corde qui se brise n’est pas une excitation réflexe ordinaire, et il n’y aurait eu dans la salle aucune émotion si, au lieu d’individus comprenant le péril d’une corde qui se brise, il n’y avait eu que des brutes.

Les brutes, c’est-à-dire les animaux inférieurs, ne sont pas susceptibles d’avoir des réflexes psychiques. Tous leurs réflexes sont simples. Nulle connaissance, nul jugement sur la nature de l’irritation. Pour l’homme bien des réflexes sont de cette nature. Si l’on me met une paille dans l’œil, des larmes abondantes vont couler ; l’œil rougira ; les paupières se fermeront avec force ; mais ces phénomènes seront organiques, sans aucune compréhension ou élaboration intelligente sur la paille qui m’a blessé.

Presque toujours les réflexes psychiques ont pour point de départ un ébranlement des sens. Un paysage, un bruit, une odeur, une saveur, ne peuvent par eux-mêmes provoquer aucun réflexe organique ; mais, s’ils sont compris par une intelligence, s’ils sont accompagnés d’une notion du phénomène extérieur, alors ils peuvent déterminer un réflexe qui est la conséquence de cette notion intuitive et soudaine.

Autrement dit encore, pour qu’une excitation produise de la frayeur, il faut qu’elle soit comprise, d’une compréhension peut-être élémentaire et superficielle ; mais enfin, dans une certaine mesure, l’intelligence est éveillée, tandis que les réflexes organiques se produisent sans qu’aucun effort intellectuel soit nécessaire.

Si nous résumons ces faits, nous voyons que la peur, réflexe psychique, a un double résultat : d’une part, un phénomène de conscience, c’est-à-dire la frayeur ressentie par le moi ; d’autre part, une série de phénomènes moteurs réflexes, tout à fait caractéristiques. Tout le système nerveux central est ébranlé ; et son ébranlement se communique à tous les appareils, moteurs ou