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cette période intermédiaire, n’est pas moins profondément remué. Nous avons dit par quelles aspirations contradictoires il était agité. Le malheur des temps ajoutait encore à cette confusion des doctrines, et bien des artistes des Flandres, désireux de conserver leurs croyances ou de trouver quelque sécurité, avaient été obligés de s’expatrier et de se fixer en Hollande. Van Mander lui-même nous a offert un des exemples les plus frappans de ces vies errantes et misérables, assez communes chez les peintres de cette époque.

L’année 1609, qui voit se consommer la séparation politique des deux pays, marque également celle des deux écoles[1]. À cette date, l’art flamand, qui, après ses éclatans débuts, a presque simultanément fleuri à Bruges, à Gand, à Liège, à Courtrai, à Malines et à Bruxelles, et déjà fourni une longue carrière, se concentre à Anvers dans Rubens, qui, à peine rentré dans sa ville natale, absorbe presque seul une gloire qui va s’éteindre avec lui. En Hollande, au contraire, où l’apparition de l’art a été plus tardive, après une courte période d’hésitation, cet art prend tout d’un coup, avec la constitution définitive de la nation, un essor merveilleux. Harlem, la vieille cité hollandaise, qui a marché à la tête de l’insurrection nationale, donne aussi la première le signal de l’affranchissement artistique. Mais presque aussitôt dans toutes les villes, à Leyde, à Utrecht, à Delft, à Dordrecht, La Haye, Amsterdam et dans les moindres centres, on voit des peintres naître, se former et trouver largement à exercer leur talent. A côté de Rembrandt, qui reste la plus haute incarnation de l’école et sa suprême poésie, combien d’autres maîtres il faut citer qui ont leur sens propre, puissant ou délicat, qui créent des genres nouveaux ou donnent à ceux qu’ils trouvent établis des acceptions nouvelles! Et ce n’est pas seulement, ainsi que nous venons de le voir, toute l’histoire de ce peuple, ce sont encore tous les aspects de sa vie quotidienne et familière qui, grâce à eux, ont eu leur fidèle représentation. Quant à la période guerrière ont succédé des temps plus calmes, la peinture suit pas à pas les vicissitudes de l’activité nationale. De religieuses ou de militaires qu’elles étaient d’abord, les associations ont pris graduellement un caractère civil. Ce sont maintenant des magistrats municipaux,

  1. La date de 1609, évidemment, n’exprime pas une séparation absolue entre l’école flamande et l’école hollandaise, et l’on ne saurait jamais rencontrer dans l’histoire de l’art des démarcations aussi tranchées. Bien avant 1609, on trouverait en Hollande la trace d’une peinture nationale et des artistes ayant un sens propre; de même qu’après 1609 il serait facile d’en citer qui, à raison de leur éducation, de leur vie nomade, ou même de leur talent, pourraient être tout aussi bien revendiqués par l’école flamande. Cependant cette date, qui est celle de l’indépendance des Provinces-Unies, marque, aussi exactement qu’il est possible de le faire en pareille circonstance, le moment où les deux écoles ont chacune leur existence bien distincte.