Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/904

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des chirurgiens, des régens d’hôpitaux, de simples drapiers qui deviennent l’occasion de chefs-d’œuvre connus de tous. Dans leur tenue, leurs attitudes, leurs physionomies, tous ces gens-là sont bien Hollandais. Voyez plutôt ces braves bourgeoises, — car les femmes ont aussi leur place d’honneur dans cette galerie, — ces Régentes de l’Hospice des enfans pauvres de Harlem, que Jean de Bray nous montre réunies autour d’une table (Musée de Harlem, n° 16), quatre matrones graves, simplement vêtues, occupées à vérifier les comptes de la maison qu’elles administrent. La charité ainsi comprise n’est pas seulement affaire de sentiment; on se sent là en présence de vraies ménagères hollandaises, prudentes, avisées, vigilantes, femmes de tête et de cœur, à la fois économes et généreuses, qui regardent de près à la dépense, connaissent le prix des choses, mais qui sont aussi, quand il le faut, capables d’un gros sacrifice : en tout les dignes compagnes des hommes résolus et courageusement opiniâtres qui, sortant de leurs comptoirs, ont su tenir tête au grand roi.

Mais ce sont encore là les côtés publics, officiels en quelque sorte, de la vie néerlandaise, et l’art n’a pas traduit moins exactement, dans leur intimité, ses impressions familières ou pittoresques. Avec la sécurité et le prodigieux développement du commerce des Indes, les fortunes ont crû rapidement, et la peinture est devenue l’ornement de toutes les demeures un peu aisées. Malgré le nombre énorme de tableaux que les musées et les amateurs de l’Europe ont déjà tirés de ce pays, qu’on songe à tout ce qu’il en renferme encore. Aussi les artistes doués de quelque talent étaient-ils assurés alors d’en trouver facilement l’emploi. C’est pour des logis hollandais qu’ont été faits ces ouvrages de proportions restreintes et d’une exécution si soignée que, même après une longue observation, vous y découvres toujours quelque détail nouveau qui mérite d’être admiré. Vous reconnaîtrez là tous les étages de la société, tous les sentimens, toutes les passions, tous les goûts de ce peuple étrange. « Les soûleries, les grossièretés, les paresses sordides » y ont leur place, avec les rustauds et les soudards, les ivrognes, les désœuvrés et les débauchés de tout rang. Mais les joies décentes, les travaux et les affections qui font l’honneur des foyers honnêtes n’y sont pas oubliés. Si les tabagies, les cabarets, les tripots peuvent se vanter d’avoir leurs peintres attitrés, si parfois Terburg et Metzu s’égarent en ces mauvais lieux que Steen recherche d’ordinaire, voici des intérieurs plus corrects : de nobles personnages dont Cuyp nous montre les chevauchées et l’élégance un peu massive ; des magistrats austères et des commerçans rangés; des savans, des mathématiciens, des géographes, des gens de métier, des dentellières, des fileuses, dont N. Maës, van der Meer et Pierre de Hooch