que d’être homme et d’avoir vécu. Le Lac ou le Vallon, le Crucifix ou Ischia, le Premier Regret ou Novissima Verba, c’est le cri même de la nature, auquel vibrent tous les cœurs, à l’exception, puisqu’ils le croient, de celui des seuls initiés. Et c’est comme si l’on disait qu’ils reprochent à Lamartine ce qui fait justement de lui, non pas peut-être le plus varié, ni surtout le plus étrange, mais le plus sincère et le plus universellement vrai des grands poètes de ce siècle. Car il y a de la rhétorique dans la Tristesse d’Olympio ; il y a de la «littérature » jusque dans le Souvenir de Musset, — deux vers de Dante, quatre lignes de Diderot, une invocation à Shakspeare; — mais il n’y a pas trace de littérature dans le Lac, pas ombre seulement de rhétorique, et c’est ce qui en fait la suprême beauté.
On l’a dit bien souvent : nul, comme Lamartine, en ce siècle et dans notre langue, n’a aimé, n’a senti, n’a rendu la nature avec cette profondeur et cette sincérité. Certes, les descriptions ne manquent pas dans les Orientales, dans la Légende des siècles, dans les Contemplations, et généralement dans l’œuvre de Victor Hugo. Mais l’énumérateur, mais le rhéteur, mais l’artisan de phrases et de mots, mais le prodigieux assembleur de rimes y reparaissent toujours, et, en la fatiguant, découragent notre admiration, la changent en étonnement plutôt qu’en reconnaissance. Les vers d’Hugo sont beaux, ils sont pleins; les sonorités nous en assourdissent et l’éclat nous en aveugle; il nous en reste presque toujours dans les yeux et dans les oreilles un souvenir inoubliable; mais on y voudrait quelque chose d’autre, un peu d’âme et d’accent, je ne sais quoi de moins beau peut-être, mais de plus sincère et de plus ému. Lisez-le, relisez-le; rien n’est plus rare, dans l’œuvre de ce grand poète ou plutôt de cet incomparable artiste, que des inspirations comme celle de cette Tristesse d’Olympio que je rappelais tout à l’heure, ou comme celle de la Prière pour tous. Jusque dans les belles pièces des Contemplations qu’il a consacrées à la mémoire de sa fille, on sent l’arrangement et l’apprêt :
Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,
Ému par ce tranquille et profond horizon.
Examiner en moi les vérités profondes,
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon !
Et, s’il faut être franc, comme il n’y a rien de plus artificiel, de plus
composite et de plus arbitraire que certaines descriptions des Orientales, — et notamment celles de tant de contrées que le peintre n’avait
jamais vues, — même quand Hugo décrit ce qu’il devrait avoir senti, je
ne connais rien de plus poncif dans les œuvres d’Écouchard Le Brun ou
de Jean-Baptiste Rousseau que certaines pièces des Feuilles d’automne
ou des Contemplations. Ouvrez maintenant les Harmonies ou les Méditations, qui conservent, pour le dire en passant, sur les Contemplations