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intermède, il s’y trouve un conseil trop général, et trop bien entendu de cette cour, où chacun s’autorisait de l’exemple royal :


Que l’amour à vos yeux offre un choix agréable !
Jeunes beautés, laissez-vous enflammer;
Moquez-vous d’affecter un orgueil indomptable
Dont on vous dit qu’il est beau de s’armer :
Dans l’âge où l’on est aimable,
Rien n’est si beau que d’aimer.


Quant à Louis XIV, il pouvait prendre pour lui les vers bien connus adressés au prince d’Ithaque par cet étrange gouverneur, le vieil Arbate, qui professait, en matière amoureuse, de tout autres théories que Mentor, son successeur dans l’emploi. Il ne s’ensuit pas, néanmoins, que tout soit fâcheux ou fade dans les divertissemens de Molière, et Prudhomme n’avançait qu’une jolie sottise en disant que le poète, forcé d’y louer Louis XIV, les faisait « mauvais et détestables à plaisir, » car « la liberté lui sortait par tous les pores. » Plusieurs furent un spectacle charmant pour les contemporains, et, si ce spectacle est trop coûteux et trop compliqué pour que nous puissions nous l’offrir souvent, n’envions pas à Louis XIV et à ses contemporains le plaisir qu’ils y trouvèrent. En 1880, la Comédie-Française nous rendait le Bourgeois gentilhomme avec la mise en scène du temps, et c’était une sensation délicieuse que ce retour vers un passé déjà si lointain, ce séjour de quelques heures dans une société à jamais disparue. Enfin, cette part de l’œuvre de Molière souffre du voisinage des chefs-d’œuvre francs et simples, mais il y a bien des choses qui mériteraient plus que l’attention : ainsi Psyché, si supérieure aux meilleurs opéras du temps, les Amans magnifiques, vrai modèle de la féerie. Çà et là de charmans détails, comme le dormeur Lyciscas, Moron et son ours de la Princesse d’Élide, Myrtil et son moineau dans Mélicerte, le Ballet des nations, qui suit le Bourgeois gentilhomme, et l’intermède de Polichinelle et des archers, entre le premier et le second acte du Malade imaginaire. Dans ces passe-temps dont il s’amusait tout le premier, Molière déploie une verve enivrée d’elle-même, une fantaisie d’autant plus agréable à rencontrer qu’elle est plus rare de son temps.

Enfin, accordons tout ce que l’on voudra : les comédies-ballets sont un genre faux, où le génie d’un grand écrivain était mal à l’aise ; c’est pour répondre aux exigences de ce genre que Monsieur de Pourceaugnac tourne à la bouffonnerie, que le Bourgeois gentilhomme, si heureusement commencé, finit en mascarade, que la Comtesse d’Escarbagnas est à peine esquissée. Elles sont le prix